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Chroniques de l'Epée d'Ishara

I, Menaces.

Ioan Shiredwin entra dans le bureau de son frère aîné, se baissant pour passer la porte.

Si Jarod était l’aîné, Ioan le dépassait largement de taille et de puissance physique. Ses pas lourds résonnaient sur le parquet, tandis qu’il se planta devant le bureau encombré de livres et de vélins de son aîné.
Sa voix remplit la pièce de petite taille, tandis que Jarod relevait la tête vers son frère.
« Elle s’est enfuie ! »

L’aîné posa sa plume dans l’encrier, et alluma quelques cierges de plus, sans se départir d’un calme remarquable.
« Si tu as traité ton épouse de la même manière que tu as traité tes précédentes amantes, je n’en suis pas étonné, mon frère. »
« Et ça t’amuse ? »

« J’ai eu du mal à trouver le moyen de te mettre cette fille entre les mains. Tu la voulais pour femme, tu l’as eu. Tu étais sensé veiller sur elle et t’assurer de la garder près de toi.»

Le géant fit une moue, colérique. Une moue qui dans ce cadre eu pu presque ressembler à une frustration d’adolescent, s’il n’avait pas eu près de trente ans, et une carrure de colosse inspirant la crainte.
Il hésita à dire ce qu’il devait avouer, et sa voix baissa d’un ton.
« Elle est partie avec l’épée. »
Le frère ne tiqua pas.
« Tu la fais rechercher ? »
« Bien sûr. Elle est partie hier soir. En une journée elle n’aura pas été bien loin. » Il prit une pause. « Quand je l’aurais retrouvé, soit assuré qu’après ce qu’elle prendra comme leçon, elle ne sera pas prête à me recommencer ça ! »
L’aîné leva un sourcil.
« Idiot. Elle est prêtresse. Tu l’oublies ?! » Sa voix se fit plus forte. « Tu es sensé t’assurer de la garder sous ta surveillance. Va donc battre et baiser tes lavandières ! Mais elle doit rester sous ta garde, sans jamais avoir à s’en plaindre ou user de son rang pour te dénoncer ! Et tu as intérêt à trouver l’épée, abruti ! »

Le géant recula un moment, avant de pousser d’une voix en colère :
« Parle-moi autrement, toi ! C’est ma femme, désormais. Quand à cette épée, personne ne s’en servirait ! Tu veux me faire croire, à moi, qu’elle vaut quelque chose ? Ce n’est qu’une décoration, aucun guerrier digne de ce nom ne voudrait tenir un tel bout d’acier en main ! » Il s’était redressé par-dessus le bureau, son corps craquant sous les muscles jouant de colère, et il dominait son frère sans mal. Mais celui-ci gardait son calme…
Et il ne leva pas le ton, un sourire amusé aux lèvres, quand il répondit.
« Cher petit frère, comme toujours, tu as des muscles, et j’ai une tête. Tu vas donc faire ce que je te dis, et tu va donc la retrouver, la ramener, l’enfermer, la traiter au mieux, veiller sur elle, et veiller sur l’épée, jusqu’à ce que je te dise quoi faire d’autre. Et tu vas le faire parce que j’ai assez d’arguments pour te rappeler que c’est moi qui commande. »

Ioan allait répondre quand il entendit un souffle derrière lui. Une masse projetait des ombres dans le petit cabinet, et il se retourna, sur une vision glaçante, même s’il y était habitué.

« Il » était là. Il avait adapté sa taille à la taille de la pièce, mais cela ne changeait rien à ce qu’il émanait de force et de monstruosité. Et il regardait le guerrier, menaçant, attendant un ordre…
« Oui, petit frère. Pas besoin de manier l’épée, quand il suffit de savoir, de connaître, de commander et de connaître les Mots. »
Il fut une pause.
« Fais la chercher, et ramène-la. »
Une autre pause.
« Et si tu permet, j’ai du travail. Au revoir, petit frère, tu peux disposer… »

(Il y a un trou important ici entre ce texte, qui suit la naissance du personnage, et ce qui va suivre. Les textes en question ont été perdus avec le forum qui est hébergeaient. l'histoire ce ce gouffre sera revelée au fur à mesure.)

 

II, L'aube de Teldrassil

Les instruments s’étalaient sur le sol autour de son corps meurtri. Elle pleurait, vaincue depuis longtemps, et il riait de satisfaction. Il lâcha la badine ensanglantée, et alla se servir un verre. Voilà comment il l’aimait. Soumise, corps et âme vaincu, inerte… La suite lui arracha un sourire de plaisir, et, vidant son verre, il se tourna de nouveau vers elle…

Elle se réveilla en réprimant un hurlement, et chercha sa compagne dans la grande couche. Mais sa compagne n’était plus. Elle ne viendrait jamais la prendre dans ses bras quand les cauchemars prenaient un malin plaisir à la hanter de nouveau.

Nausicaâ attrapa la fiole au bord du lit, et la but avidement. La drogue était la seule chose qui évacuait la douleur, et les cauchemars. Elle en avait une énorme réserve. Une chose de plus inexpliquée.

Elle avait été retrouvée, à demi inconsciente, le corps couvert de peaux, sur les plages de sable qui lèchent les racines de Teldrassil. Les Elfes avaient reconnus son pendentif, un sceau des Rêveurs, qu’ils offraient aux êtres que les druides désirent protéger. Ainsi, ils n’avaient pas posé de questions, et l’avaient soignée plusieurs semaines.

Les drogues, au final, étaient tout ce qui arrêtait la douleur constante qui la minait, et qui faisait venir les terreurs des cauchemars derrières ses yeux clos.

L’aube allait se lever, et Darnassus vibrait de sa vie foisonnante, citée accueillant des milliers d’espèces animales en harmonie avec la cité. Le plus beau et doux lieu de la création. Mais sans sa chère Sentinelle, ce lieu avait un goût amer.

Elle était morte. Entre-temps, tout les autres avaient péris ou disparu. Assassinés pour la plupart, avaient fuis ceux qui s’attendaient à cette fin probable.

Pendant ce temps, Nausicaâ était ailleurs… Elle le savait, mais impossible de dire ce qui s’était passé.

Un visage énorme et monstrueux se penche au dessus du petit corps gisant dans son sang et ses viscères. Le troll est étonné. Cette humaine est vivante, encore. Il regarde plus loin, le corps du dragon à terre, une épée lui a traversé le crâne. Dans sa gueule, les restes broyés de l’être qui s’est sacrifié pour l’achever. Le troll reconnaît une elfe, une sentinelle.

Il regarde la forme agonisante.

Elle respire encore, après tout, c’est que les esprits lui ont donné une chance. Le troll se baisse, et prend le corps doucement, ramassant les viscères. Soigner pour soigner, si elle est vivante, elle mérite qu’il essaye…

Le bain froid avait réussi a calmer la tension, et les douleurs. Nausicaâ se demanda si jamais elle pourrait espérer passer une nuit normale, désormais. Son corps portait désormais, en plus des marques des coups de badine et de fouet qui avaient laçeré et labouré son dos, la marque d’une déchirure qui avait ouvert le flanc, et qu’on avait recousu sans ménagement. La cicatrice se dissipait un peu sous les talents des soins elfiques, mais elle restait laide et large.

Elle soupira. D’un autre coté, elle n’avait jamais eu envie d’exposer son corps, et encore moins après ce que son mari lui avait fait vivre sept semaines durant.

Elle allait prendre ses affaires, aujourd’hui, et reprendre la route. Il lui fallait retrouver les survivants. Elle pensa à Kerla, et Magdaléna. Elles ne faisaient pas partie de ceux qu’elle savait morts, et elle les savait trop malines pour s’être faites avoir.

L’idée lui tira un sourire.

Ce serait une immense joie de les revoir.

Et de leur montrer l’épée…

Son mari devait sans doutes la croire morte, il y avait moins de danger à marcher dans les rues, elle éviterait de réveler son nom. L’épée était toujours enrubannée dans un drap, et elle le resterait. Mais c’etait son seul lien avec son passé…

… Elle se rappela de ce que sa chère Sentinelle lui avait dit, pour justifier son plaisir à la renifler, avec son habituel merveilleux sourire : « Je n’y peux rien, tu sens bon… tu sens l’elfe, petite humaine, tu sens l’elfe… ».

Le secret était dans l’histoire de cette épée, qui suivait son histoire. Qui reconnaîtrai l’épée la reconnaîtrai, elle…

C’était une belle raison de reprendre la route…

 

III, Poursuivants

Il sirotait sa mauvaise bière sans trop se méfier.Pas que le lieu fut rassurant, mais il avait déjà tué trois hommes ici, et tout le monde le savait.

L’auberge le connaissait bien, et d’une certaine manière, elle lui appartenait. En tout cas, il y avait longtemps qu’il n’avait plus payé une bière ou un tord-boyau au patron.

L’homme en face de lui semblait lui-même fort calme, mais il n’était pas capable de dissimuler son mal-être ici. Il n’avait rien à faire dans cet endroit, pas en tant que client, parlant à l’un des pires représentants de la lie des bas-fonds d’Ironforge.

Le gnome souria. Pas un sourire de bonté ou de joie. Juste de satisfaction mauvaise. La situation était piquante, et il en tirerait avantage. D’une manière ou d’une autre. Cet officier des gardes de Stormwind avait l’air malin, mais il l’était lui-même. Il y aurait bien plus de coups à tirer de ça que quelques dizaines de pièces d’argent.

Mais c’est une pièce d’or, sous la paume du chevalier qui glissa jusqu’à lui.

Le gnome alla prononcer un juron, mais ne put sortir un son de sa bouche.

« Vous dites que vous avez bel et bien vu une femme ressemblant à celle que je recherche, portant à son sac une grande épée enveloppée de linges ? Où était-elle ?! »

Le gnome vissa ses yeux sur la pièce presque entièrement cachée par la solide paume qui la tenait.

Tudieu, il y avait ici une grande affaire, une très grande affaire à tenir ! Son esprit habitué aux brumes de l’alcool travailla vite et bien, et il su quoi répondre.

« Ouai, j’l’ai vu, grand gars, elle était marchant ‘vec une elfe qu’avait tout l’air d’une gu’rrière. Elle avaitr les yeux rouges comme tu l’dis et qu’tu l’raconte de par ici, et elle avait bien l’air d’une satanée bourgeoise ! Elle était à Ironforge, elle est passé vite, et c’te guerrière la couvait comme qui dirait un fauve ! Et ch’rais pas étonnée qu’elle ai été voir du coté de Stormwind. Moi, même avec son manteau sur la tête que j’t’l’ai r’connu… On peut pas la louper, ça ouais ! »

Les yeux du chevalier se mirent à brûler, sans affecter l’aspect serein et impassible de son visage.

Il murmura :« Une pièce d’or pour ça… dix si tu me la trouve et me la ramène, vingt si elle est intacte, et avec l’épée qu’elle porte avec elle… Compris ?... je la veux AVEC l’épée ! »
La voix était grondante et menaçante, et le mécréant gnome en eut presque un frisson, qui lui passa l’une de ses envies qui avait été de soulager ce bonhomme de sa fortune, pour voir.

Le chevalier se leva, tandis que la pièce d’or disparaissait dans les poches du gnome.

« Vous savez comment me joindre… »

Le gnome regarda l’homme s’éloigner. Vingt pièces d’or ?... Si elle était si précieuse, il pourrait en demander une rançon de quarante ! Il se frotta les mains. Il ne restait plus qu’à trouver des complices, et aller à la recherche de la fille.

Le chevalier soupira. Jouer ce rôle lui était haïssable, mais ainsi avaient été ses ordres donnés par Ioan Shiredwin, son officier et maître. Il lui fallait encore en rencontrer d’autres, faire courir le bruit de cette recherche. Son Maître attendait beaucoup de ces rumeurs, et des gens qui seraient prêts à tout pour vingt pièces d’or, ou plus…

Il secoua la tête… Tout ça pour une femme fuyant le domicile conjugal. Mais les ordres étaient ainsi, et il avait fierté à obéir.

 

IV- Le sang pour dette...

Nausicaâ dormait paisiblement, emmitouflée dans les draps, le ventre sous un épais bandage qui formait un corset protecteur.
Zénia était hors des draps, vêtue de quelque tenue légère, pieds nus. Elle était allongée contre l’adolescente, et la couvrait largement de toute sa longueur d’elfe. Elle ne dormait pas, et ne l’avait pas quitté des yeux, mais son regard, parfois, allait à la fenêtre où perçait le jour naissant, et vers la porte d’où montaient les bruits de l’Hospitalet.
Elle n’avait pas cessé un instant de veiller, et sa garde n’avait pas baissée une fois. Elle savait où elle avait posé ses armes, et d’un bond, elle aurait pu les sortir, et arracher le cœur de toute personne qui aurait voulu attenter à la vie de la jeune humaine.

Elle soupira longuement. Nausicaâ dut entendre, et gémit doucement, se serrant contre l’elve qui l’attira un peu plus à elle.
Elle repensa à la veille. Finalement, elle avait été bien prête à arracher le cœur de quelqu’un…

Tout avait commencé après qu’elle ai vue la cicatrice qui barrait le flanc de la jeune humaine. Nausicaâ en souffrait. Elle buvait une sorte de drogue, retrouvé avec elle quand elle avait échoué sur les plages des racines de Teldrassil, mais cela la soulageait de moins en moins.
Et la guerrière était assez fine guérisseuse pour avoir noté les traces d’anémie, la faiblesse générale de la jeune prêtresse, pour savoir que ce n’était pas qu’une affaire de douleur d’une blessure mal cicatrisée. Cela allait mal, et l’humaine le cachait très mal.

Zénia n’avait pas eu de mal à convaincre Nausicaâ de trouver un médecin. Il y avait simplement eu à attendre une autre crise, qui avait fini par l’aliter. Zénia avait pu alors toucher et examiner la cicatrice. Une énorme déchirure de tout le flanc, une éventration. Recousue comme on l’aurait fait d’une outre de peau, avec du fil grossier et une énorme aiguille. D’une certaine manière, celui qui avait fait ça devait être un très bon herboriste, peut-être un alchimiste. Car sa patiente serait morte autrement d’un tel traitement. Zénia avait frissoné. Sous la peau, sous la cicatrice, les organes devaient eux aussi être en piteux état. Nausicaâ lui avait dit qu’elle avait été happée par un dragon. Son dernier souvenir avant son réveil au pied de Teldrassil. La blessure avait donc du être tout à fait critique, et elle avait été soignée par quelqu’un qui s’y était pris d’une manière tout à fait barbare. Il fallait trouver de vrais praticiens.

Il existait quelque part un ordre de médecins connus, les Hospitaliers. Nausicaâ en avait entendu parler bien avant sa fuite de Stormwind, et savait qu’ils seraient compétents. Le seul souci était de les trouver. Stormwind était grande, et elle n’en connaissait rien ou presque. Pas plus que Zénia. Il faudrait chercher, et Nausicaâ craignait d’être vue ou reconnue par quelque personne dans la ville.

Zénia la rassura, et l’aida à faire le voyage depuis leur auberge du Lakeshire. Nausicaâ semblait de nouveau vaillante et souriante, et riait, ne cachant pas sa tendresse envers Zénia.
Une fois dans Stormwind, les deux femmes se séparèrent. Nausicaâ devait, sous son nom d’emprunt de Loredala, envoyer des messagers recrutés parmi les garçons des rues, pour demander partout après les Hospitaliers, et Zénia abordait les voyageurs, les passants et les aventuriers.
Mais à leurs efforts répondit un silence complet. La cité des hommes est aussi la cité du silence, des mensonges, de l’empressement. Personne n’avait envie de répondre ou d’aider une elfe, et les garçons des rues revinrent bredouille eux aussi. Les gens de passage ne voulaient rien dire, préférant en rester à leurs affaires. Même en appelant à l’aide, personne ne viendrait. Et quand au peuple, il avait appris à se montrer sourd et muet pour ne pas s’attirer d’ennuis.
Zénia gémit plusieurs fois, pestant alors qu’elle courrait dans tout le quartier commerçant. Elle avait l’impression d’être à Darnassus, d’être dans la cité où elle était frappée d’ostracisme et où en conséquence son peuple faisait comme si elle n’existait pas. Elle trouva que visiblement, ici, rien n’avait changé. Les regards la dévisageaient avec mépris, ou crainte superstitieuse, mais on ne lui répondait pas.

Elle revint vers sa jeune humaine fatiguée et fourbue. Nausicaâ l’attendait, une capuche dissimulant ses traits. Elle parvint à trouver les mots pour calmer Zénia, grondante de colère, et les deux femmes passèrent un long moment dans un coin d’auberge, tandis que Zénia reprenait son souffle.
Nausicaâ lui souriait tout le temps. Une sorte d’habitude, visiblement, à vouloir se montrer rassurante, et chaleureuse. Zénia répondait par des sourires, ce qu’elle avait failli oublier de savoir faire à force de regrets, et sa main vint prendre et serrer la main de la petite humaine.
Il n’y avait qu’une journée qu’elle avait osé montrer ses sentiments à l’adolescente, et tout allait si vite. Cette jeune fille semblait si fragile et douce, que la guerrière ne pouvait s’empêcher de désirer plus que tout au monde simplement la protéger.

Zénia et Nausicaâ décidèrent de tenter leur chance dans Ironforge. Zénia ne connaissait la ville que de nom, et n’avait même jamais mis les pieds dans le métro qui reliait la cité naine à Stormwind. Nausicaâ la rassurait tendrement, mais la guerrière était nerveuse. L’idée de foncer à toute vitesse dans une machine diabolique profondément sous terre choquait tout ses sens et sa philosophie d’elfe, et elle serrait nerveusement la main de son amie.
Le choc fut encore plus terrible et merveilleux en arrivant dans la cité. L’allure prodigieuse et monumentale des lieux échappaient à ce qu’elle pouvait imaginer, et le bruit, les échos profonds et la foule lui donnaient le tournis, et affolaient ses sens de sentinelle.
Nausicaâ semblait plus à l’aise, même si elle gardait toujours son visage dissimulé par une capuche, et elle la guidait dans les immenses corridors, jusqu’à atteindre la place du marché, face aux portes monumentales.
Y régnait une activité fébrile et effrayante, un rassemblement de voyageurs, commerçants et aventuriers venus de tous les horizons. Zénia grimaça, et posa sa main sur son arme, tandis qu’elle serrait celle de Nausicaâ. La foule lui paraissait presque agressive, et revoir une telle concentrations d’elfes e la nuit alors qu’elle était paria à son peuple la rendait nerveuse.

Commença alors une longue suite de questions, de demande, toujours la même chose. Nausicaâ demandait si quelqu’un connaissait les Hospitaliers, et les gens ne répondait pas, ou par de vagues « non » et autres grognements, trop occupés à leurs affaires. Les deux femmes recommençaient plus loin, essayant d’attirer l’attention des groupes occupés, mais en vain.
Un nain vint quand même leur dire qu’il connaissait l’ordre et que Gwendollyn en était le maître, mais qu’il pensait qu’elle était absente, on la disait même malade, ou blessée. Il ne sut pas en dire plus, et semblait désolée devant la tête éplorée et lasse des deux femmes.

Leurs pas finirent par les mener dans le hall des enchères. Zénia s’inquiétait, sa jeune compagne semblait de plus en plus lasse et fatiguée, et grimaçait régulièrement, cachant sa douleur comme elle pouvait. Mais Zénia n’était pas dupe, et même si elle ne préférait rien dire, elle ne quittait plus Nausicaâ des yeux.

Nausicaâ reprit ses demandes, allant de groupe en groupe, mais personne ne répondait, jusqu’à être femme à une très belle humaine, richement vêtue, à l’allure noble, assurée, et fière. Elle répondit qu’elle connaissait de nom ces Hospitaliers, et regarda Nausicaâ avec intérêt et un peu d’inquiétude. La jeune fille était de toute évidence malade, pâle, les yeux fiévreux.
Elle se nommait Liira, et demanda à en savoir un peu plus ; Zénia lui expliqua qu’elles cherchaient un très bon médecin, pour une blessure mal guérie. Nausicaâ, dans la chaleur étouffante du hall, au milieu des bruits et des cris des enchérisseurs, commençait à faire un malaise, et ne parlait plus, à demi absente, et très lasse.
Liira dit à Zénia de guider Nausicaâ dehors, et, face à l’air frais, Nausicaâ reprit quelques couleurs, quand, soudainement, passa une grande elve qui criait partout « quelqu’un cherche un médecin ? », «qui demande après des médecins ? ».

Zénia héla l’elve, tandis que Liira observait, surprise, mais d’un calme olympien. L’elve se présenta comme Teiana, médecin de l’ordre du Red Cross. Elle travaillait dans l’hospitalet de Stormwind, et avait apprit que quelqu’un cherchait partout un médecin. Elle semblait inquiète, presque affolée, et pressa Nausicaâ de questions. La jeune humaine répondit que ce n’était pas urgent, qu’elle allait bien, qu’il s’agissait juste de jeter un œil sur une vieille blessure.
Teiana se décida de prendre en charge la jeune humaine. Elle regarda Zénia, et lui demanda d’aider son amie à marcher. Zénia n’hésita pas, mais Nausicaâ protestait qu’elle savait encore marcher seule. Zénia souria, et d’autorité saisit l’adolescente par l’épaule pour la soutenir avec tendresse.
Toutes suivirent Teiana, mais Liira et Zénia se rendirent compte qu’un elfe massif semblait décidé à les suivre. Teiana semblait le connaître, mais était pressée de s’occuper de sa nouvelle patiente. Malgré des efforts de la noble humaine, l’elfe les suivit jusque dans Stormwind, visiblement attiré par le médecin qui semblait elle-même inquiète.

Zénia n’arrivait plus à suivre le cours des événements. Des gens arrivaient, visiblement d’ordres de médecins, et semblaient avoir été mis au courant. La noble Liira alla chercher son cheval et tandis que reste du groupe se dispersait pour semer leur poursuivant, prenait Nausicaâ en croupe. Elle la guida jusqu’à un manoir où elle l’installa dans une chambre avant de repartir.

Zénia était nerveuse. L’elfe avait fini par les lâcher, mais l’histoire était compliquée, et cela attirait déjà des curiosités, même alors que la nuit s’avançait. Elle soupira d’aise quand elle pu retrouver Nausicaâ, assise sur un lit, dans le manoir de la Dame Liira, décidément clairement noble, même si elle ne s’était pas plus présenté.
Tout le monde appelait Nausicaâ Loredala. Il n’était pas question, ici, de révéler son identité, et Zénia avait compris l’étendue des craintes de sa jeune aimée. Et elle prit le temps de faire comprendre qu’il ne fallait pas en demander plus. Teiana, visiblement, comprenait très bien et ne posa pas de questions.
Liira aussi n’en posa pas. Mais elle avait remarqué l’étonnante épée, cachée par des linges, qu’avait porté Nausicaâ à Ironforge, et l’avait visiblement noté à l’esprit.

Teiana, dans la chambre du manoir, fit sortir tout le monde, pour ausculter la jeune malade. Zénia protesta, et refusa, jusqu’à ce que Nausicaâ, essayant d’être rassurante, ce qui paraissait difficile vu la peur lisible sur son visage, puisse la convaincre de veiller à la porte. Pendant ce temps Liira se retrouvait réduite à jeter hors de chez elle un membre de la garde de Stormwind qui les avait suivi et avait forcé l’entrée, dans le but d’en apprendre plus et de demander des comptes sur ce qui se passait ici. Même si c’était louable, Zénia se mit en colère, et Liira finit par chasser le garde trop curieux. Nausicaâ était bien assez affolée, et Zénia n’avait pas envie en plus de lui imposer une présence masculine dans un tel état. Elle avait depuis longtemps compris que sa chère humaine avait peur des hommes, et serra les dents de colère en se remémorant comment elle l’avait découvert, et pourquoi.

Teiana fit déshabiller la jeune humaine, et frémit en voyant tout d’abord son dos, labouré de cicatrices. Des traits longs, droits, enchevêtrés. Des coups de fouet. C’était évident. Mais le pire était la cicatrice au flanc. Teiana la toucha, nettoya la peau et palpa la plaie, l’air de plus en plus inquiète. Elle avait une idée de l’état de la blessure, et des dégâts internes, et réalisa qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’opérer cette jeune femme pour intervenir, sans quoi elle finirait par déceder.

Zénia était inquiète, Elle commença à l’être de plus en plus quand Teiana demanda à sa collègue venue les accompagner un brancard et des porteurs, disant qu’il fallait l’emmener d’urgence dans l’Hôpital de Stormwind. Zénia demanda ce qui se passait, mais le médecin elfe ne lui répondit pas, occupée à prendre en charge Nausicaâ. La jeune humaine demanda elle-même, mais n’eut pas non plus de réponses.

Teiana s’activait, Liira regardait ce qui se passait, avec l’assistante du médecin, Zénia rassurait Nausicaâ et essayait de se rassurer elle-même, et c’est sur un brancard, en protestant encore qu’elle pouvait marcher, que l’adolescente fut emmenée dans les bâtiments de l’Ordre des Hospitaliers. Il y régnait une grande activité. Zénia ne vit pas grand-chose, l’attention tournée vers sa chère humaine, mais la chef de l’Ordre, Gwendolline, était là, couvertes de bandages sur des blessures diverses.
Nausicaâ fut menée dans une chambre, tandis que la chef de l’Ordre prenait état de ce qui se passait. Il y avait beaucoup de monde, et Nausicaâ paniquait. Zénia n’en menait pas plus large. Il y avait trop de monde pour elle, un lieu trop étranger, des discussions et des débats auquelle elle n’entendait rien. Elle n’avait compris qu’une chose, et cela l’épouvantait : on allait opérer la petite humaine qui était si soudainement devenu tout pour elle. Et on ne lui disait pas pourquoi.

Teiana fit déshabiller complètement Nausicaâ sur le lit tendu de draps blanc où elle l’avait allongée. Avec beaucoup de douceur, elle l’aida à retirer ses vêtements, puis ausculta encore la plaie, et demanda à la jeune fille d’où elle avait gagné une telle cicatrice.

Nausicaâ n’avait que peu à en dire. Elle raconta juste que c’était les crocs d’un dragon, et qu’elle n’en savait pas plus. Que parfois, un visage hideux penché sur elle lui revenait, elle évoqua un troll, mais elle ignorait qui et comment elle avait été soignée. Teiana marmonna qu’il n’y avait bien qu’un troll pour faire ça, et commença à préparer tous les instruments en vue d’une opération. Puis elle se pencha sur la jeune humaine, lui murmura de ne pas avoir peur, et pressa un linge imbibé de drogue contre son nez. Nausicaâ sombra dans l’inconscience en quelques instants.

Zénia observait cela en silence. Elle était appuyée à la porte de la chambre, et ne quittait pas le médecin et sa jeune compagne des yeux. Son cœur battait, mais la guerrière était si concentrée qu’elle était devenue impassible. Elle portait toujours ses armes, et n’avait pas lâché une fois le sac de Nausicaâ, et l’épée qui y était accrochée.
Quand Nausicaâ perdit conscience, elle frémit. Le médecin la regarda, rassurante. « Tout va bien ». Mais Zénia avait du mal à le croire, jetant un œil sur la bassine où se trouvaient entassés les instruments qui allait servir à opérer sa bien-aimée.

Quelqu’un tapa à la porte. C’était un homme, que Teiana présenta comme un collègue, et son assistant pour l’opération. Au loin, Zénia entendait la voix de Liira, parlant avec Gwendolline et d’autres personnes présentes dans l’hôpital, mais elle n’y prêtait plus attention. Elle hésita à laisser entrer cet homme dans la chambre où sa compagne reposait, nue. Mais Nausicaâ ne s’en rendrait pas compte, et Teiana semblait catégorique.

Zénia se réinstalla contre la porte, et observa. Les deux médecins commencèrent leur œuvre, et Zénia serra les dents quand le bistouri découpa lentement les chairs, détournant un instant le regard, avant de se reprendre. Elle voulait tout voir, assister à ça… et les tuer si jamais cela se passerait mal.

Le sang coulait. L’assistant épongeait le flot rouge, et les compresses s’accumulaient dans les bassines, tandis que les draps devenaient pourpres. Teiana semblait se maîtriser avec toute l’habilité d’une professionnelle complète, mais elle ne retenait pas des réflexions et des commentaires partagés par son assistant et qui n’auguraient rien de bon. Zénia écoutait, livide, mais impassible. Ils disaient ce qu’elle avait quelque peu deviné. Et un peu plus. Il manquait le rein de ce coté, arraché par les crocs, et les intestins étaient couverts de kystes dues aux hématomes et à des débris jamais nettoyés. Elle ne pouvait sans doutes plus manger normalement, et dépérissait, son corps luttant en permanence contre des lésions vieilles de plusieurs mois.
Teiana découpait les chairs, et retirait les kystes, son assistant cautérisait les plaies derrière elle. Cela saignait de plus en plus, et Zénia avait de plus en plus peur.

Quelque chose attira son attention. Tandis que l’opération avançait, la lourde épée de Nausicaâ semblait s’être mise à vibrer. Zénia ne l’avait tout d’abord qu’à peine senti sans y prêter attention, mais maintenant, la lame vibrait réellement. Elle posa le sac, et saisit l’arme à travers ses linges, sans quitter Nausicaâ des yeux.
L’épée vibrait bel et bien… Zénia la tint contre elle, tandis qu’elle reportait son attention inquiète sur sa compagne.

Teiana se débattait avec les hémorragies, son assistant semblait commencer à s’inquiéter réellement : « on va la perdre ». Nausicaâ saignait beaucoup trop, et Teiana travaillait à toute vitesse à nettoyer les plaies, retirer les kystes, et les cautériser. Et tandis que la vie semblait quitter le corps de la petite humaine, l’épée semblait se mettre maintenant à chanter, un son ténu, sifflant, cristallin, et que Zénia trouva lugubre. Elle serra la lame entourée de chiffons comme pour la faire taire, et en sentit les vibrations qui semblait la rendre tout à fait vivante.

Teiana était épuisée, son assistant essayait de garder tout son calme, et l’hémorragie semblait se calmer. Mais le médecin savait qu’elle devait refermer au plus vite la blessure, même sans avoir pu achever son travail, à moins de vouloir finir avec un cadavre devant elle.
Son assistant commença de lentes prières, et la magie curative flua à travers son corps pour rejoindre celui de la jeune fille inconsciente. Cela la maintenait en vie, tandis que Teiana refermait la longue cicatrice le plus proprement possible. Zénia serrait la lame de l’épée qui chanta longuement, jusqu’à ce que Nausicaâ cesse de saigner, et que la plaie soit refermée.
Quand le thaumaturge qui avait assisté Teiana émit l’éventualité que la jeune patiente pourrait ne pas survivre, Zénia gronda, et sans se contenir les menaça de mort si sa chère Nausicaâ décédait. Teiana la fît sortir de force, et Zénia se retrouva dehors pendant un long moment, tremblant d’angoisse et de craintes. L’épée s’était tue, mais ce présage l’avait glacé.

Le temps passa interminablement, dans une angoisse mortelle, avant que Teiana ne rouvre la porte de la chambre. Nausicaâ était allongée, le visage couvert de draps propres, le lit refait, le ventre couvert d’un grand bandage. Elle commençait doucement à revenir à elle, tandis que Teiana et son assistant discutaient des conséquences de l’opération.

Zénia jeta l’homme dehors alors que sa chère humaine se réveillait. Il n’était pas question qu’elle voit un homme près d’elle dans une telle situation, et Teiana laissa faire, même si elle protesta. Elle vérifia que la jeune humaine réagisse à ses paroles, puis quitta la pièce, laissant Zénia veiller sur elle.

Zénia soupira encore… son regard se porta vers le sac, dans un coin de la pièce, et cette épée qui avait chanté en même temps que coulait le sang de son amie. Elle se demanda bien dans quelle histoire elle s’était embarquée. La petite humaine dans ses bras avait plus de secrets qu’elle n’en avait avoué, ou qu’elle en savait elle-même.
Elle huma encore une fois son parfum. Une fragrance étonnante, elfique, derrière l’odeur du savon, et les restes de relents de sang. Même son sang avait l’odeur de celui des elfes. Cette femme-enfant aux traits si étranges, aux yeux pourpres, ignorait d’où et de qui elle était née, mais cette épée qu’elle gardait comme son seul héritage, apparaissait aux yeux de l’elve comme soudain menaçante.
Elle serra un peu plus la jeune fille endormie, et ferma les yeux. Désormais, pour la toucher, il faudrait avant passer sur son corps, et elle ferait payer cher cette idée à celui qui essayerait.

Non loin de là, un homme glissa un papier sous une porte richement ouvragée du Quartier des Mages et disparut dans la nuit. Une lueur s’alluma un peu plus tard derrière la porte, et une main soignée ramassa le mot, et le lut tranquillement.
L’homme n’eut aucunes expressions en lisant ce mot, et le rangea soigneusement dans sa poche.
Il alla chercher son serviteur et lui tendit le mot, le laissant lire, puis lui tendit une bourse.
« Va, tu sais quoi faire. Surtout aucuns bruits ou esclandres ne doit arriver jusqu’ici. Si elle leur échappe, ne t’en mêle pas. »
Le serviteur salua, et se glissa dans l’aube frémissante.
A l’intérieur, Jarod Shiredwin soupira. Il n’avertirait pas son frère, pas encore. Une sorte d’instinct lui soufflait que son frère serait bien capable de tout faire échouer, alors qu’elle était peut-être à portée de main. Il voyait bien comment la mettre en sécurité et la garder en vie, et trouva amusant d’imaginer son frère cherchant anxieusement sa femme en y laissant sa fortune.
Il referma doucement la porte derrière le bureau. « Il » attendait ses ordres, et il savait quoi lui dire.

 

V, Jour de neiges

La forêt enneigée laissait passer le couple qui traversait en courant ses sous-bois, dans l’écho de leurs pas et de leur panique. Seul leur répondait ce silence opaque et sourd que l’hiver et le froid font tomber sur le monde.

L’homme tenait la femme par la main, tandis que l’autre était occupée par une lame ensanglantée. Il était humain, sans aucun doute, un remarquable spécimen de son espèce, noble et batî comme un colosse aux formes helléniques. La femme qui le suivait aurait été sans hésitations une haute-elfe, un être au port noble et fier, si la flamme de ses yeux, la couleur de sa peau, et sa stature ne trahissait pas une métis dont le sang était marqué par les kaldorei. Elle était aussi affolée que son compagnon, tenant contre elle un étrange colis, un couffin, et une épée immense et incroyablement ouvragée dans son fourreau.

Ils fuyaient dans la neige, faisant tomber des pans de la masse blanche tandis qu’ils secouaient les branches basses et les arbustes. Ils étaient couverts de boue, et de sang, la femme, si noble, si fière, était à cet instant marquée par la panique et la lassitude. Quoi qui les poursuivent, ils savaient déjà qu’ils n’y échapperaient pas.


Dans un flot de neige sale, ils débouchèrent sur une clairière. Le petit être dans le couffin se mit à hurler, un élan de peur panique en écho à celui de ses parents. Derrière eux, au loin, dans ce silence oppressant d’un soir d’hiver, ils pouvaient entendre ce qu’une oreille humaine n’eut pu percevoir. Leurs poursuivants seraient bientôt là.

« Itarillë, on ne peut pas les semer » L’homme s’était adressé à la femme dans la langue des elfes, aussi naturelle pour lui qu’elle devait l’être pour cette créature magnifique qu’il accompagnait.

« Je le sais, mon amour. » La voix d’Itarillë était brisée par le constat affreux d’une évidence si simple.

« Nous allons sauver Elenmírë, reprit-elle. Puis… enfin… nous savons ce qui nous attend, Ingwë. »

L’homme acquiesça de la tête, en silence, et soutint sa femme, tandis qu’elle posait le couffin sur el sol, face à un grand chêne millénaire.

Tandis que l’homme restait derrière elle, ses yeux allant des deux êtres les plus précieux à sa vie, aux buissons d’où surgirait leur destin, la femme dégaina l’immense épée ouvragé, dont la lame se mit à luire, bleue, lumineuse, comme chantant de joie, ou d’allégresse. Sans lâcher l’épée chantante, elle prit dans ses bras la petite fille âgée de quelques mois, et se redressa.

Elle entonna alors une mélopée douce, et étrange, qui résonna dans la forêt, longuement :

« Sur le sang des descendants du Cercle, sur l’amour des élus jamais séparés, je dédie au destin la dernière-née où coule le sang d’Ishara et Kerinos. Puisse la lame impie qui fut sacrée guider son âme, puisse son âme guider le fil de la lame, puisse le sang des descendants du Cercle garder intact son pouvoir et son amour, puisse la nouvelle descendante de notre lignée porter notre héritage. »

Itarillë leva alors l’épée, et vint blesser son enfant au poignet du fil de la lame. Une larme de sang coula, que l’épée avala avidement, comme si le métal eut été assoiffé et poreux. La petite fille hurla, plus de peur et de contrariété que de souffrance, et Itarillë lâcha l’arme, serrant sa fille contre elle en pleurant de longs sanglots. Ingwë se pencha vers sa femme et sa fille et de ses bras les serra toutes les deux, des larmes dans les yeux.

« Il faut faire vite, mon aimée, ils arrivent »

Itarillë se redressa en hochant la tête. Elle posa le couffin, et l’épée avec lui, dans un creux du chêne, et, reculant prononça des mots doux et chantants, des choses anciennes qui donnèrent à l’arbre une vie qui lui fit cacher son précieux fardeau aux yeux de tous.

Puis elle se retourna. Ingwë lui adressa un dernier regard, un « je t’aime » entre leurs pensées si intimes pendant les longues années de leur amour.

 

VI, Maman

La jeune fille ouvrit un instant les yeux. Près d’elle, un regard empli de tendresse, se tenait assise une elfe de la nuit millénaire. Les deux regards se croisèrent, celui de la fille, celui de la mère. Un instant d’éternité arraché au présent.

Près du lit, un tabouret encombré d’un grand plateau. Du lait, du pain, un bol de confiture, du beurre, des fruits. Et le sourire de la kaldorei en réponse à la surprise de la jeune fille.

Le premier déjeuner offert à une fille par sa mère.

Elle se nommait Duvnarel, elle regardait se réveiller une jeune humaine au sang des Quel’Dorei, et son nom était devenu pour elle symbole d’une raison de vivre.

Nausicaâ.

La jeune fille ferma les yeux un instant ; le réflexe qui consiste à essayer de vérifier si elle dormait encore ou si elle était éveillé. Si le présent est bien un réel, ou un affreux tour de ses vœux et de ses rêves venus la hanter. Elle rouvrit les yeux.
Duvnarel souria, maternelle et aimante, complice des doutes qui assaillaient l’adolescente. Et Nausicaâ ne put retenir ces larmes de joie qui ne cessait de venir depuis ce dernier jour entier.

Elle avait croisé Duvnarel par hasard. Malgré sa peur, elle se rendait régulièrement à la cathédrale de la Lumière de Stormwind. Elle ignorait si elle avait jamais eu l’idée de mettre sa foi en question, mais près de dix ans de sa vie au sein d’une abbaye, éduquée à être prêtresse, avait éteint en elle toute idée de questionnement ou de révolte.
Comme pour beaucoup d’autres choses, et d’autres moments, elle était docile et prévisible, d’aucuns auraient dit simplement stupide.

Marcher dans Stormwind était dangereux. Elle ne le faisait qu’à l’aube, ou après le crépuscule, aux heures où les braves gens dînent et où les seigneurs et les voyageurs vident des choppes. Mais elle se sentait obligée de venir voir prier dans la cathédrale, et se confesser, sans jamais donner son identité. Qu’un prêtre eut désiré parler un peu de ces visites rares mais régulières, et son mari aurait pu la cueillir comme une fleur. Mais elle n’en avait sans doutes pas complètement conscience. L’obéissance peut être un réflexe plus fortement ancré que l’instinct de survie, et la méfiance. Surtout quand on a juste seize ans.

Elle sortait d’une chapelle, quand elle la vit. On remarque sans coup férir une elfe de la nuit dans une cathédrale de la Lumière où seuls les humains, et à la rigueur les nains, viennent prier. Celle-ci était grande, plus déjà que les membres de sa race, déjà si imposants, et il y avait encore plus de noblesse et de fierté dans son allure qu’il était possible en voyant une kaldorei visiblement perdue.
Nausicaâ a un grand défaut, un de plus. Elle pourrait se jeter dans la gueule d’un dragon en voulant rendre service à un inconnu, eut-il l’air d’un assassin couvert du sang de sa victime. Elle s’approcha donc de cette elfe qui cherchait visiblement quelque chose, et lui proposa son aide.
De plus près, voir cette elfe appela encore chez elle cette sensation étrange qu’elle avait en compagnie des kaldorei. Cette attirance terrible, presque dévorante, qu’elle attribuait à toutes les rêveries d’enfant qu’elle avait eu, dans l’ennui de son lit au pensionnat, les livres de Taleyran posés à son chevet. Oui, elle aimait les elfes, et trouvait si injuste d’être née humaine, élevée dans un monde si clos, gris, et monotone.
Et même après avoir vécu avec eux, même après avoir vu la réalité derrière les rêveries, quand elle rencontrait une elfe, un sentiment profond l’envahissait. Elle n’avait pas d’autre que de se dire avoir le cœur gros. Gros de quoi, elle n’avait pas le moyen de le savoir.

L’elfe se tenait donc devant elle, et demanda d’une voix riche, puissante, et trahissant un âge que son visage n’exprimait que par le regard, où se trouvaient des spécialistes de la médecine. Nausicaâ guida la kaldorei jusqu’aux locaux de la maîtresse de médecine de la cathédrale, et laissa l’elfe à ses affaires. Elle était devenue nerveuse. L’elfe l’avait dévisagé, et face à elle, sa capuche ne cachait pas son visage, et surtout, avait regardé ses yeux. Elle avait alors commencé à poser des questions inquisitrices, demandant les origines de l’adolescente, humant l’air, comme pour s’assurer que ses doutes étaient fondés.
Nausicaâ savait parfaitement ce que l’elfe avait deviné, et sa peur, ses hésitations, la trahissaient encore plus. Lumière, comme elle détestait sa timidité qui la faisait détourner les yeux, hésiter à ses mots, et rougir, se trahissant plus que n’importe quel aveu.
Elle planta là l’elfe, et sortit du bâtiment, venant s’appuyer contre une colonne pour reprendre ses esprits et laisser son cœur se calmer.

L’elfe réapparut, juste derrière elle. Nausicaâ l’écouta. La kaldorei avait deviné bien des choses, et proposa à la jeune adolescente qu’elle lui explique tout.
Pourquoi était-elle venue, Nausicaâ n’en savait rien, mais ce qui lui échappa est qu’elle accepta de suivre cette inconnue. Il y avait ce regard. Ou cette façon de regarder. Un mélange de méfiance, de compassion, de curiosité. Mais Nausicaâ la suivait pour autre chose, autre chose qu’elle n’avait aucun moyen de deviner alors, comme on ne peut pas deviner un petit signe du destin tant qu’il ne veut pas vous montrer l’évidence.

Ironforge.
Une auberge dans la terrasse des guerriers. A l’étage, les bruits d’une conversation animée en darnassien, au comptoir, deux nains en goguette, et de temps en temps des tables qui se vident et se remplissent. L’elfe se nommait Duvnarel, Nausicaâ dit qu’elle se nommait Loredala. Oui, elle avait du sang elfe dans les veines. Non, elle ne savait pas d’où elle venait. Oui, elle se cachait, son mari la recherchant depuis plus de six mois. Non, elle n’avait pas beaucoup d’amis, elle en avait eu, la plupart avaient disparus ou étaient morts. Lui restait juste sa chère Zénia, Néfèriane, une guerrière torturée qui venait la voir de temps en temps, et Kerla, une démoniste du même âge qu’elle, ou presque.
Nausicaâ raconta donc sa vie. Simplement. S’étaler aurait encore fait naître des larmes, et elles naquirent quand même quand Duvnarel la poussa à expliquer pourquoi elle avait fuit son mari. Et l’elfe devina, d’elle-même, ses propos confirmés par les sanglots étouffés de l’adolescente.
Vint alors les questions sur l’épée. Duvnarel fut choquée d’apprendre que la jeune fille avait comme amie une démoniste, et encore plus de savoir que c’était dans cette langue qu’était écrit une phrase sibylline sur la lame de l’épée. Nausicaâ avait pourtant un nom : Thel’Darsyl, et Duvnarel comprenait, et partageait le désir de cette jeune fille blessée et perdue de retrouver ses origines, et le sang elfe qui courrait dans ses veines.

L’elfe avait des moyens, et elle prit contact, sans quitter sa place dans cette auberge enfumée, avec l’une des membres des Archivistes, pour tenter d’en savoir plus sur ce nom et cette épée.
L’homme qui vint se nommait Thorgen, et était un grand guerrier massif. Nausicaâ frémit, mais les suivit sans rien dire. L’homme ressemblait par trop à ce qu’elle craignait… Ce n’était pas difficile, il suffisait de ressembler à un grand mâle humain. En parlant, il la pressa de questions sans ménagements, tandis que Duvnarel restait silencieuse. Nausicaâ finit par craquer sous les coups des mots trop durs, trop froids, des questions trop autoritaires, et s’effondra en sanglots.
Zénia, qui la cherchait depuis plusieurs heures, la trouva à ce moment là, et Duvnarel les laissa partir, la jeune Sentinelle consolant l’adolescente, tandis que le guerrier humain avait disparu, vexé ou fâché.

Duvnarel avait dit qu’elle ferait au mieux pour aider Nausicaâ. Elle revint quelques jours plus tard, au lakeshire.
Zénia et Nausicaâ s’y étaient installés depuis quelques temps. Il fallait bien choisir un lieu où vivre, et pour payer l’auberge, les deux jeunes filles rendaient service à la région, en guerre contre les orcs et les gnolls.
Elle retrouva les deux filles dans leur chambre. Et Nausicaâ ne put pas lui cacher ce qu’elle n’avait pas montré quelques jours avant, les séquelles de sa blessure. Duvnarel prit alors l’initiative de les quitter pour revenir avec des cicatrisants de sa composition, qui firent effet plutôt vite. Duvnarel repartit alors.

Mais quelque chose devait la retenir… quelque chose pareil à ce qui donnait à Nausicaâ tellement confiance en cette druidesse qu’elle désirait toujours revoir. Elle était restait à Lakeshire, avec son énorme tigre de monte. Et la vieille druidesse à l’age impossible à estimer accepta d’aider les deux adolescentes. Nausicaâ ne put retenir ses sourires, et sa joie… ET Duvnarel ne les quitta plus, pendant des jours.

Les Carmines, Dun Morogh, et les Paluns. Duvnarel accompagna et guida partout les deux jeunes amantes, ne les quittant plus. Elle semblait vouloir les protéger, les connaître, les aimer, et Nausicaâ irradiait de son bonheur d’adolescente aux sentiments si exacerbés, à sa compagnie. Même Zénia, si méfiante, si silencieuse, devenait plus sereine et souriante.

Duvnarel présenta aux deux jeunes filles Tyranael, une autre elfe, Archiviste, qui nota consciencieusement tout le récit de la courte de vie de Nausicaâ, mais aussi le nom de Taleyran, d’Ishara et de Thel’Darsyl. Elle promit de rechercher une réponse, et repartit.
Duvnarel quitta après ces quelques jours les deux jeunes filles, installées dans le Darkshire pour un temps, et Zénia partit prendre des cours de forge, laissant Nausicaâ seule.

La jeune adolescente avait un passe-temps, hérité de sa famille adoptive, la couture. Elle voyagea donc jusqu’à Ironforge, pour y trouver matières premières, et, cherchant de la soie, prit rendez-vous avec une fournisseuse de soie d’araignée. Mais elle devait retourner à la banque de Stormwind. Un peu trop sûr d’elle, elle osa retourner dans la ville qui lui était si hostile, et attendit sa cliente, une étrange elfe qui, elle le sut de suite, ne fut pas dupe de l’apparence de la demi-elfe, et sentit de suite ce que cachait cette jeune fille. Elle lui fit don, plutôt réellement que lui vendre d’une quantité énorme de cette soie rare, et parti, visiblement satisfaite, laissant Nausicaâ étonnée, un paquet énorme représentant plusieurs pièces d’or dans les mains. Elle avait payé tout cela une seule pièce d’argent. Passé l’étonnement de ce cadeau, elle décida d’aller offrir à l’hôpital de Stormwind la pièce d’or qu’elle s’était préparée à payer.

Elle put revoir Teiana, et la remercier, sans rien lui révéler de détails. L’elfe n’en demanda pas, heureuse de voir sa patiente remise. L’étrange fournisseuse de Nausicaâ était là, elle-même, visiblement occupée avec une des patientes des lieux, et Nausicaa n’en demanda pas davantage, s’en retournant vers les griffons pour rejoindre sa chère Zénia.
Elle avait fait quelques pas dans la ruelle qui rejoignait la place du quartier commerçant qu’elle fut agressée par une elfe, une voleuse, qui la plaqua au mur. Elle en voulait aux richesses qu’elle avait vue sur la jeune fille, et à l’épée elle-même. Nausicaâ cria, et teiana et l’étrange elfe, surgirent de l’hopital pour se ruer sur l’assaillante.
Nausicaâ ne sut pas la suite. Il y avait deux voleuses, mais elle n’avait pas vue la seconde, et elle recula jusqu’à la place pour appeler à l’aide.
Teiana et l’étrange elfe la rejoignirent alors que ses cris semaient la panique sur la place. Nausicaâ était bouleversée et paniquée, et Teiana lui proposa de l’escorter jusqu’à son domicile.

C’est ainsi que Nausicaâ apprit à connaître Teiana, le médecin des Red Cross, femme au dévouement exemplaire aux malheureux et aux blessés de Stormwind. Devant un verre, à l’abri de soir dans l’auberge de Darkshire, elles apprirent à se connaître. Zénia n’était toujours pas rentrée, et Nausicaâ raconta une fois de plus sa vie, et écouta celle de Teiana. Des vies aussi tristes que belles.
Duvnarel les retrouva. Nausicaâ se demanda bien comment elle faisait, mais elle ne se demanda pas pourquoi. La grande druidesse kaldorei était toujours aussi impressionnante, et magique, toujours aussi attrayante et rassurante. Duvnarel s’inquiéta quand Teiana raconta ce qui était arrivé, et regarda l’épée avec de plus en plus de suspicion… Nausicaâ essaya vainement de résister à la proposition impérieuse de Duvnarel : cacher l’épée, pour rendre la vie de la jeune fille précieuse si des gens venaient à chercher l’arme.
Nausicaâ céda, presque docilement, après une résistance de principe. Elle se sentait incapable de refuser, mais l’idée l’effrayait. Jamais on ne l’avait séparé de l’épée de plus de quelques kilomètres. Mais elle n’était pas non plus en mesure de refuser, et comment résister de toute façon à une décision simplement sage ?
Duvnarel saisit le précieux paquet, et activa sa pierre de foyer, l’envoyant à un continent de là.

Teiana avait vu la peine et la peur de la jeune fille à l’idée de voir si loin d’elle son lien à ses origines. Mais ce qui terassa Nausicaâ dépassait la peine, ou la tristesse. Nausicaâ elle-même ne comprit pas, c’était comme si on lui imposait tout le fardeau du monde, comme si vivre même était une tristesse infinie, un poids trop lourd destiné uniquement à l’écraser. Elle s’effondra en sanglots, le corps secoué de tremblements et de spasmes, un froid terrible s’insinuant dans ses veines.
Loin de là, l’épée se mit à vibrer, puis chanter, et enfin émettre un son qui ne pouvait être autre chose qu’une plainte de souffrance déchirante.
Nausicaâ s’effondrait, anéantie par une peine qui n’était pas la sienne et qui glaçait son corps. Teiana essayait de la retenir, de la réchauffer, se demandant bien quelles méthodes médicales appliquer, mais l’adolescente fuyait vers le néant et rien ne la retenait. Elle finit par perdre connaissances, pour s’enfoncer dans ce qui ressemblait à un coma profond, le corps glacé et la respiration devenue à peine un souffle.
Dans les mains de Duvnarel, qui entendait à travers le Rêve les appels de détresse de Teiana, et qui se préparait à cacher l’épée dans la Mer Voilée, l’épée se tut, devenant lourde, comme morte.
Duvnarel revint par les moyens les plus rapides possibles, à la fin de la nuit. Nausicaâ était alitée, toujours glacée, toujours inconsciente. Teiana faisait son possible pour lui venir en aide, en vain. Et Zénia, loin de là, ne savait rien de ce qui arrivait à son amante.

La druidesse posa devant Teiana une fiole remplie d’un liquide lumineux. Teiana sut de suite ce que c’était : de l’eau d’un Puit de Lune. Duvnarel esperait que, cette épée étant de manière évidente magique, et liée à la jeune adolescente, une autre source de magie la délivrerait de la dépendance à cet objet.
Teiana injecta un quart de la fiole, pour voir Nausicaâ commencer à gémir, et se réveiller, prise de fièvre, ses yeux poupres devenus soudainement flamboyant, comme illuminés par la même clarté que celle des Kaldorei. Elle souffrait, était à demi-assomée, ignorait ce qui lui arrive, et serrait les dents, essayant d’avoir assez de conscience pour entendre et comprendre ce qu’on lui disait. La lassitude était toujours là, une sorte d’eau rampante au fond de son être, combattu par cette chose dans son sang qui lui donnait une fièvre terrible.
Elle fut incapable de décrire le chemin qu’elle fit, ensuite. Teiana la soutenait, ou lui tenait la main, Duvnarel avait pris toutes ses affaires, et les deux femmes l’emmenaient loin de là. Nausicaâ se laissa guider, et faire. Elle tenait debout, elle pouvait marcher, elle pouvait chevaucher un griffon, mais n’avait du monde qu’une conscience floue dans un demi-sommeil léthargique et qui l’appelait sans cesse, et de ses pensées que des échos lointains et lents comme des éternités retardés. Zénia avait été prévenu par le biais des Pierres Jumelles que Duvnarel avait offert aux deux amantes, et les attendait à Auberdine.

Nausicaâ ne put pas se souvenir de la durée du voyage, ou de son contenu. Zénia prit soin de son amante dès son arrivée, et le groupe marcha jusqu’aux Monts Stonetalon. Nausicaâ suivait, tirée par Zénia, surveillée par Teiana, tandis que Duvnarel était parti chercher l’épée si vitale à la jeune fille.
Arrivés aux monts, Duvnarel était là, et les guida jusqu’au sanctuaire elfe. Arrivées au bout de cette course, Zénia portait Nausicaâ, épuisée et vaincue dans ses bras. La Sentinelle n’avait posé aucunes questions, ni le moindre commentaire. Pas encore. Mais son regard trahissait sans équivoques sa colère et sa peur, et son désir de savoir, dès qu’elle aurait mis sa compagne à l’abri.

Nausicaâ ne sut pas la suite… On laissa l’épée près d’elle, et elle resta alitée, dormant, Zénia la serrant contre elle. Duvnarel partit… dire qu’elle s’enfuit aurait été plus juste, après avoir expliqué à Zénia ce qui était arrivé.
Teiana resta près des deux femmes. Nausicaâ avait été sa patiente, et elle était attachée aux deux femmes, mais elles devenaient surtout des amies. Nausicaâ se réveilla de longues heures plus tard, faible et fatiguée, déboussolée, incapable de se souvenir en détail du voyage. L’absence de Duvnarel la frappa… C’était la druidesse qui l’avait conduite là, c’était elle qui avait des réponses, et plus encore… elle lui manquait. L’impression qu’elle avait été toujours en sécurité, toujours protégée, et aimée revint à ses émotions. Duvnarel lui manquait, d’une manière qu’elle ne savait pas décrire, ou alors qu’elle n’avait pas envie de formuler.

La druidesse revint au soir. Quand elle arriva, Teiana démontait devant les yeux de Zénia et Nausicaâ les décorations de l’arme, révélant une épée parfaitement utilisable par une main elfe, une redoutable lame Bien-Née. Duvnarel frémit, reconnaissant les glyphes, reconnaissant aussi sans le dire qu’elle savait les lire, et reconnaissait parfaitement l’origine de cette épée.

Elle proposa alors de détruire l’arme. Là encore, la décision la plus sage. Nausicaâ ne dit rien. A quoi bon. Le regard de Duvnarel montrait son amertume, sa détresse, elle était aussi déboussolée que la jeune fille, effrayée, épuisée et lasse devant une épreuve de plus, devant quelque chose contre lequel elle ne pouvait rien. Zénia protesta. Détruire l’arme, c’était tuer Nausicaâ.

Duvnarel sortit en disant que ce n’était pas son problème. Nausicaâ écouta, mais les trois femmes s’éloignèrent, et, regardant cette épée, cette étrange compagne qui semblait capable de la faire souffrir, elle se rendormit. Quand elle se leva, un moment après, encore lasse, pour retrouver Zénia, elle vit les trois elfes parler, assises sur un banc. Duvnarel, de sa voix chaude et puissante, douce en ancienne, racontait quelque chose de long, en darnassien, et Teiana répondait dans la même langue, tandis que Zénia écoutait, sans rien dire.

Nausicaâ s’approcha, timidement. L’impression de ne pas être à sa place se faisait plus forte, avec l’usage de cette langue qu’elle ne pourrait jamais apprendre. Elle chercha le regard de Duvnarel. Les mots ne voulaient rien dire, mais la voix trahissait la solitude, la lassitude, un appel au secours informulé. Nausicaâ n’y pouvait rien, sauf dire « je suis là » et elle n’avait que son regard pour ça.
Duvnarel la fixa, plongeant ses yeux noirs dans le regard de pourpre de l’adolescente, qui s’était rapproché de sa compagne, n’osant déranger par un mot les trois kaldorei.
La druidesse dit alors : « j'aurai tellement voulu avoir une fille ».

Nausicaâ essaya de s’excuser, pour tous les ennuis qu’elle avait crée, mais elle laissait son regard dans celui de l’elfe millénaire. Elle quitta les bras de Zénia, pour s’approcher de Duvnarel, et fit un geste en réponse à cette phrase prononcée par la druidesse… Elle lui tendit sa main. A cette seconde, Nausicaâ venait d’entendre tout ce qu’elle n’avait pu exprimer ou comprendre, ce qui avait refusé de naître à sa conscience. Duvnarel avait signifié un rêve inavoué pour elle, un rêve impossible à exprimer jusque là… Elle tendit la main, que Duvnarel prit doucement, prise par le doute, prise par la même évidence, et par la peur d’un instant devenu éternel et si fragile. Nausicaâ eut les larmes aux yeux, ce quelle voulait dire, elle ne le pouvait pas, juste et seulement sourire, dire à Duvnarel, du regard « je suis là » lui dire qu’elle attendait, elle, cette mère que Duvnarel voulait tant être pour une fille. La druidesse serra la petite adolescente de toutes ses forces, tandis que la jeune fille murmurait « vous… pouvez être ma mère ». Etait-ce jamais ce que Duvnarel aurait voulu entendre, mais elle versa des larmes sur l’adolescente, tandis que Nausicaâ pleurait.

Un moment éternel, mais surtout le droit à jamais d’être fragile ou faible ou dépendante, le premier instant de tendresse maternelle qu’elle n’aurait jamais eu. Duvnarel ne la lâcha pas avant longtemps, mais le temps avait si peu d’importance, à ce moment, là. Zénia souriait, Teiana en pleura d’émotion. Nausicaâ avait du sang elfe, elle aurait pu être sa fille, elle pouvait l’être… Etre une fille… avoir une mère. Plus que celle qui l’avait simplement élevée petite fille, puis confiée à l’abbaye pour en faire une idéale fille à marier. Une mère qui dise et montre son amour… Une mère qui protège et apprend…

Elle l’avait trouvé, et les perles des larmes de Duvnarel glissèrent sur ses cheveux d’argent.

 

Réponse à la lettre de Duvnarel

(en réponse à la lettre publiée dans "Une Folie de Plus", écrit à quatre mains avec Zénia, que je remercie pour cet effort, et cet exercice ce style)

Nausicaâ déplia la lettre qui avait voyagé depuis loin pour arriver jusqu’à sa cachette de la Combe de Nijel. Elle n’avait jamais fais attention à son odorat, jusqu’à ces derniers jours. Mais les leçons de Duvnarel, et l’aide de Zénia lui avaient fait comprendre qu’elle pouvait faire et ressentir certaines choses, communes aux elfes, mais qu’elle ignorait. Et avant qu’elle n’ouvre la lettre, elle réalisa qu’elle savait de qui elle venait. Elle n’aurait pas su dire comment, elle savait, c’est tout…


Elle lut, lentement…
Ses yeux s’embuèrent, tandis qu’elle la parcourait, et des sanglots naquirent qu’elle ne put retenir. Elle du essuyer ses larmes pour essayer de lire le texte entre ses pleurs. Elle ne sut pas si elle lisait réellement ce que ce mot portait vers elle, ou si elle l’imaginait… Mais elle fondait dans des sentiments qu’elle ne pouvait pas décrire. Quels mots pouvaient exprimer toute la gratitude, tout le bonheur qu’elle ressentait à lire ça ? Quels mots pouvaient lui dire à quel point elle réalisait ce que son esprit tellement habitué à renoncer et perdre n’avait toujours pas accepté comme évident et éternel ? Comment pourrait-elle jamais lui dire, en retour, tout ce qu’elle ressentait, tout ce qui à cet instant précis brisait avec une force tranquille et inéluctable le manteau de crainte, de défaitisme et de désillusions qui couvrait la jeune adolescente depuis l’aube de sa vie.

Nausicaâ pleurait, debout devant l’auberge, la lettre à la main, tête baissée, les larmes coulaient de ses joues pour nourrir le sol aride de Désolace. Elle resta ainsi longtemps… jusqu’à ce que Zénia ne vienne… La jeune elve prit alors doucement la lettre des mains de sa compagne, l’attira contre elle, et tandis qu’elle laissait la jeune demi-humaine pleurer dans ses bras, elle lisait l’aveu de Duvnarel. Tandis qu’elle parcourait la lettre, sa main tremblait, et elle serra un peu plus Nausicaâ contre elle. Son visage n’exprimait rien, et qui aurait pu lire ce que ses yeux disaient ? Peut-être de la joie, tandis qu’elle lisait, peut-être aussi de la mélancolie ou de la douleur pour ce qu’elle n’a jamais eu, et n’aurait jamais elle-même. Sa main qui tremblait trahissait juste ce qui torturait à cet instant ses souvenirs et son âme, et qu’elle ne dirait jamais.

Alors, elle fit ce que lui permettait cette jeune fille qu’elle aimait plus que sa vie même : elle se délecta de son bonheur, et de ces larmes de joie qu’elle répondait contre son épaule. Elle laissa naître un sourire, tandis qu’elle repliait d’une seule main la lettre si précieuse, et la glissait dans celle de Nausicaâ. Puis elle saisit doucement son menton, et leva son visage en larmes vers elle, pour plonger son regard d’obsidienne dans le regard de rubis de la jeune prêtresse. Elle ne parla pas… Elle savait bien que Nausicaâ désormais pouvait entendre sans qu’il n’est besoin d’employer des mots. Elle laissa juste ses yeux dire ce qu’aucuns de ses mots ne pourraient exprimer. Et elle souria encore, en voyant ces yeux de pourpre et ce visage, noyé de larmes et d’étonnement, incapable de pouvoir exprimer tout le bonheur qu’il vivait. Il n’y eu pas besoin de mots, et Nausicaâ n’en employa aucuns…

Elle se laissa juste enlacer contre Zénia, se serrant contre elle, respirant son parfum, l’esprit vaincu par une évidence merveilleuse et magique : celle d’être aimée.

 

La Maison Formepierre

La jeune femme entra doucement dans la grande pièce, éclairée uniquement par le foyer d’une cheminée colossale, qui dardait ses feux sur des meubles de bois et de cuir. Un salon complet, entouré d’une imposante bibliothèque, mais conservé dans la pénombre par les deux hommes qui y discutaient, autour d’une pipe fumante et de deux bières dorées.

Un nain et un humain, que la jeune femme connaissait bien tout les deux.

Ils se tournèrent à son arrivée. C’était une elfe. La plus belle elfe que leurs yeux avaient jamais eu l’occasion d’admirer. Le nain souria, et soupirant, cracha sa fumée en un long volute dans le salon.

« Bonjour, chère lumière de toutes les aubes. »

L’elfe souria. Oui, elle était radieuse, pareille à une aube, et l’humain, son mari, ne pouvait s’empécher, même après toutes ces années de l’admirer. Un joyau parmi les hommes, aux cheveux d’or, les yeux couleur de rubis flamboyants, la peau d’albâtre, elle avait dans ses sourires et son regard une grâce qu’il était impossible d’imiter, ou même d’approcher. Même les nains du château de Formepierre avaient toutes les peines du monde à cacher leur émoi devant cette grâce incarnée, et même leur seigneur, Dagor, faisait de la poésie quand il la voyait. Il avait coutume de dire que devant tant de beauté, même un troll serait poète.
A cet instant, il reprenait une bouffée de sa pipe, et souria à l’humain en face, jovial et satisfait de sa jolie phrase.
L’humain souria à son tour à l’apparition, et se leva pour aller à sa rencontre.

« Bonjour ma chérie, comment vas-tu ? »

L’elfe souria encore une fois, baissant les yeux vers le petit fardeau qu’elle tenait dans ses bras. Le bébé n’avait pas plus d’un mois, une petite chose fragile et émouvante, qui à cet instant avait des yeux ouverts à essayer de deviner le monde, son grand regard de pourpre posé sur l’humain, son père, l’air étonnée et curieuse. Rien n’aurait permit de deviner son sang elfe, si ce n’est ce regard si étrange, mais dans les bras de sa mère, on ne pouvait nier leur ressemblance. L’efle répondit, une voix chaude et suave, douce comme du sucre, et amoureuse comme un poème.
« Je vais bien, et elle va bien, mon amour. Je crois que je vous ai dérangé en pleine discussion, n’est-ce pas ? »

« Ce n’est rien, Itarillë. Mais Dagor a appris certains choses, et nous devons aller au plus vite à Stormwind, y trouver Uther Lightbringer. Le clan Formepierre a la preuve que des forces sombres gravitent autour du roi Magni, et surtout, il a entendu quelqu’un prononcer le nom d’Ishara. « Ils » nous ont retrouvés. »

L’elfe blémit, serrant un peu plus sa fille contre elle. Derrière eux, toujours assis Dagor, le puissant nain Maître de la Maison Formepierre, avait perdu son sourire, et avala une grande lampée de bière, avant de reprendre, l’air grave.

« On ne sait rien de tout ça, dame elfe, mais il y a des gens étranges, des forces étranges, autour du trône du Roi. Une certaine Séléné, surtout, dont on ne sait rien, mais dont je suis sûr qu’elle est un pion de Ner'zhul, ou pire encore. Nous devons aller au trône d’Ironforge puis rencontrer les autres membres du Vif-Argent. Mais nous avons besoin qu’on aille prévenir Uther lui-même. Je vous fournirai une escorte complète, des compagnons fiers et sûr, et même un mage. Mais il est trop risquer de rester ici avec l’Epée. Elle a commencé à appeler, de nouveau, n’est-ce pas ? »

« Oui, répondit la jeune elfe, tandis que son mari restait silencieux, elle ressent et sait tout ce qui se passe au loin. Elle entend les Légions qui s’agitent, et veulent entrer dans notre monde, et ne pouvant les rejoindre, tente de les appeler, de se faire connaître. »

L’elfe marqua un temps d’arrêt, observant le vieux et fier nain qui tirait sur sa pipe.
« Votre instinct à ressentir ces choses m’impressionne. En général, seuls les elfes… et… vos utilisateurs de magie profane et impie peuvent entendre l’Epée. Elle reste silencieuse à tout autres. »

« Je préfèrerais ne pas l’entendre. Je sais qu’elle est liée à votre sang, et qu’elle sert aussi bien la cause du bien, que celle du Mal dont elle tient son pouvoir. Mais c’est un démon qui gémit dans son acier, et ce démon m’effraie. »

« Mais nous ne pouvons pas ni la détruire, ni nous en défaire. »

L’humain resté jusque là silencieux, parla à son tour.
« En fait, Itarillë, et sa mère, Inilasha, m’ont expliqué que l’on ne pouvait détruire l’arme sans détruire leur lignée. C’est par l’amour de leurs ancêtres que la force qui réside dans l’épée est contenue, et cet amour est relayé depuis dix mille ans par leur famille. Si on détruisait l’Epée, ma femme et ma fille mourraient dans l’instant. Ainsi que toute personne portant le sang d'Ishara où qu’il soit dans Azeroth. »

Le nain grogna :
« Une preuve de plus du mal que fait la magie profane, même pour un peuple éternel. Voilà une famille entière liée par une épée nourrie par le sang et les âmes de milliers d’être depuis dix mille ans. Vous savez bien que vous êtes recherchés… Combien rêvent d’avoir cette arme dans les mains… et votre sang !! Je n’ose penser à ce que trouverait celui qui vous aurait à sa merci. Quel pouvoir, et quelle corruption, il en tirerait. »

« Nous l’avons toujours su, Maître Nain, répondit Itarillë. Et ma mère fut bien prête de se donner la mort pour mettre fin à cette malédiction. Son trop fort amour de la vie l’en a empêché, et j’ai ce même amour, commun à tous les elfes, qui nous interdit, ou presque, le suicide, ou le sacrifice. »

« Je me demande que fera votre petite, quand elle sera la nouvelle Porteuse… Elle n’est qu’à demi elfe, désormais. Votre sang aura-t-il les mêmes effets, porté par une demi-humaine ? Et saura-t-elle résister aux chants de l’Epée, si celle-ci appelle de nouveau ? »

L’humain se rembrunit, mais il ne sut pas quoi ajouter. Ingwë, et il ne se rappelait même plus de son nom humain, après une vie entière vécue chez les elfes, n’avait jamais songé à la malédiction qui pesait sur l’élue de son cœur, et ni l’un ni l’autre n’avaient hésité au désir d’avoir cette enfant que sa femme tenait tendrement dans ses bras. Mais jamais ne s’était posé la question essentielle : une demi-elfe saurait-elle être la dépositaire de l’Epée, en résistant à la tentation de s’en servir ? Déjà, dans le passé, Itarillë lui avait raconté que plusieurs porteuses, même alors qu’on n’avait jamais lié l’Epée à un mâle, avaient cédés, souvent pour se sauver la vie, et avaient nourries l’épée en âmes, en l’employant pour se battre. Et à chaque fois, les récits convergeaient à dire que l’elfe avait été souillée, enivrée par ce que l’arme lui donnait en échange de ces âmes volées. Et même si elles avaient finalement résistés, et transmis l’arme, quelle corruption avait pu suivre la lignée, et comment une fille qui n’aurait qu’une moitié de sang elfe y résisterait ?
Il regarda sa femme, et sa fille ; Son inquiétude était évidente, et plus encore, Itarillë pouvait entendre ses pensées et ses craintes, comme tous les elfes le faisaient entre eux.
Itarillë souriait comme pour le rassurer.
« Elenmírë aura le meilleur de nos deux races, mon amour, je n’ai pas de craintes quand à ce qu’elle sera capable de faire pour résister à l’appel de l’Epée. Nous n’aurons qu’à le lui enseigner, comme l’a fait ma mère pour moi, et sa mère avant elle. »
Itarillë souria une fois de plus, rassurante. Dagor grommela, mais invita l’elfe à s’asseoir pour poursuivre la discussion, et Ingwë tira une chaise et installa sa femme confortablement devant le feu. Aucun d’eux ne savait qu’ils allaient tous mourir dans un mois.

 

VII: Fuir, encore et toujours.

« Cela ne cessera donc jamais plus ? »
Elle regardait le paysage désolé de la Combe de Nijel, et l’auberge où elle avait passé dix jours. Juste dix petits jours, avant de devoir fuir encore. Zénia dormait… elle dormait enfin. Jusqu’àau petit jour, la guerrière elfe n’avait pas trouvé le sommeil, et Nausicaâ s’était réveillée bien des fois pour la voir assise, sur la terrasse, se répétant en leitmotiv une phrase de darnassien que Nausicaâ devinait facilement : « tout ira bien ».

A l’aube, Duvnarel viendrait les chercher, pour les emmener à Feathemoon, au cœur du sanctuaire des Sentinelles, au cœur du sanctuaire des sœurs de Zénia, qui l’avaient rejetés et condamnées à l’Exil Intérieur depuis trois ans et demi. La jeune elfe mourrait de peur, et savait qu’elle ne devrait jamais parler ou croiser l’une des Sentinelles, ou dire son vrai nom, qu’elle devrait cacher son épée.
Et qu’elle devrait ne jamais sortir ce vieux livre, sur lequel, pendant son apprentissage, elle avait consignée ses cours, amoureuse de l’art des épées, et qui lui servait désormais à dessiner Nausicaâ, souvent sans que celle-ci ne sache que sa douce compagne la posait sur le papier.
Zénia n’avait aucune peur de mourir, ni aucune peurs de toutes blessures physiques. Elle n’avait peur que d’elle-même, mais cette peur là dépassait en entendement toutes les frayeurs possibles.

Et Nausicaâ le savait bien. Elle serait là-bas face à elle-même, et personne d’autre. Mais Duvnarel en avait décidé ainsi. Ce serait Feathermoon, ce serait le sanctuaire où sa fille ne pourrait être enlevée sans risques, et où elle serait protégée, et Zénia avait, dans ce réflexe si courant chez elle de refuser de se prendre elle-même en considération, acquiescé à ce projet. Nausicaâ avait protesté, mais elle n’avait pas son mot à dire à cela.

Et, enfin, Zénia dormait… dans une heure, il faudrait se lever, et la guerrière n’avait pas dormi plus d’une heure, elle serait épuisée pour un long chemin, terrifiée et blessée par le lieu où ses pas allaient la mener, mais elle n’avait même pas hésité.

La Combe avait été un choix en urgence, dans Désolace, pour évacuer Nausicaâ quand Serraghost avait par son silence et sa méfiance prouvé qu’il avait bel et bien employé des agents pour suivre Nausicaâ, peut-être même la pierre qu’il avait offert à l’adolescente, et qu’elle lui avait jeté au visage de colère, quand il refusa de répondre à ses question, après avoir méprisé de manière hautaine et Duvnarel, et Zénia.
Mais La Combe avait montré qu’on pouvait la trouver, et vouloir l’emmener.

Elle essaya de faire la liste des gens qui lui en voulaient, d’une manière ou d’une autre.
Il y avait les Larmes d’Azshara, la « famille » de la paladine Neyrelle, dont deux membres avaient avoué avoir cherché Nausicaâ partout pour la ramener avec eux «afin de la mettre hors de tout danger ». Et qui mirent Duvnarel dans une colère noire, par la grâce du nom impie de la Reine qu’ils tenaient en grande estime, le tout après avoir failli se battre avec Zénia.
Il y avait Clemanas et son compagnon ou son serviteur, deux Quel’dorei que Nausicaâ avait reconnu d’instinct, et qui disaient vouloir protéger l’adolescente en vertu de son sang, et qui en connaissaient beaucoup sur des rumeurs et des légendes sur l’Epée.
Il y avait Sybil la druidesse, à l’âme aussi sûrement blessée qu’une flèche au sein, et qui avait trouvé Nausicaâ en suivant la voix des Esprits, désirant la trouver, et la protéger à leur Appel, qui disait, en substance qu’une tempête grondait autour de la jeune fille, et qu’elle devait part tout les moyens possibles empêcher que celle-ci éclate.
Il y avait cette Eôwyn, un mot lâché par un ami de Duvnarel, qui rassemblait les elfes et en appelait à une croisade pour tuer la jeune demi-humaine.
Et il y avait enfin Tyranael, qui, de simple historienne des Archivistes ayant accepté de rendre service à la mère de Nausicaâ en cherchant l’origine de l’épée, et les éventuels parents de l’adolescente, était passé au stade d’ennemie pleine de rancune et de morve, refusant d’appeler la jeune fille par quelque prénom que ce soit, convaincue que celle-ci, et son arme, sont des sources impies de magie profane.

Nausicaâ soupira, son regard se portant sur l’arme incriminée, belle, éclatante, mais si inerte, innocente, immobile, ainsi posée au sol dans ses linges.
« Que me veut-tu, toi ?... Qui est-tu réellement ? Une arme impie, une voleuse d’âmes, une partie de moi ? »
Mais l’acier, si opaque qu’il en avalait la lumière, ne répondit pas, et le jour levant arracha un éclat aux dorures de la garde. Comme un clin d’oeil complice ou amusé. Elle ne répondrait pas, nul n’a jamais vu une arme parler, sauf dans les contes de fées.
Mais l’importance qu’elle avait désormais dans l’univers de Nausicaâ l’effrayait de plus en plus. Liée à vie à demeurer près de cette arme, elle avait compris que tous gravitaient autour de cette épée.
Et revenait un nom, un prénom, qui avait soulevé la colère et la méfiance, jusqu’à Darnassus, où l’archi-druide lui-même, ayant eu vent de ce mot, et de l’existence de Nausicaâ et de l’Epée, avait exigé de Tyranael qu’il trouve et ramène l’adolescente et son fardeau.
Ishara…
Un prénom, un passé, mais personne pour lui répondre, et lui dire qui était cette Ishara, et qu’était son Epée.
Restait seulement l’arme, ronronnante et sinistre dans le jour qui se levait, envoyant des feux de son or, qui venaient danser sur le visage de Zénia endormie.

Nausicaâ regarda le ciel, ses yeux rouges avalant la lumière de l’aube. Le prix devenait lourd, trop lourd, à faire payer aux êtres qu’elle aimait. Trop lourd pour elle, trop lourd pour le supporter. Si Zénia, là-bas, venait à souffrir, ou pleurer, elle savait qu’elle n’aurait qu’une chose à faire… Et, devant le soleil de l’aube, elle laissa vaquer son âme au gré de cette certitude qui fit couler une larme à son visage d’enfant.

 

VIII: Moonglade

Zénia achevait de construire la petite cabane dans le bosquet surplombant le lac. Elle fixait avec de la corde, sur les montants de bois, des branches feuillues, que Nausicaâ lui aidait à tresser et entrecroiser comme elle pouvait. L’abri serait haut, et solide, l’elfe avait visiblement un certain talent à construire une hutte, talent dont était bien démunie sa jeune amie, qui le plus souvent s’était contenté de l’aider maladroitement.
L’espace n’était pas bien grand. Elles se trouvaient sur une butte, surplombant les lacs de Moonglade, à l’abri de tout les regards, mais dans une situation bien peu confortable.

Nausicaâ n’avait à vrai dire que peu campé ou dormi à la belle étoile dans sa vie. L’immense majorité de son existence avait été d’être enfermée entre quatre murs, et même si elle avait erré pendant une année, elle avait toujours eu un toit sur la tête, et un feu de cheminée à proximité.
Elle était mal à l’aise, maintenant. La cabane ferait quatre mètres sur deux environ, Zénia devrait un peu se baisser pour y rentrer, de quoi cacher leurs affaires, et dormir. Il était plus ou moins signé qu’il ne pourrait y avoir de feu, pour n’alerter personne, et que les deux jeunes filles ne pourraient pas quitter la petite terrasse.

Zénia avait d’ors et déjà décidé qu’elle visiterait Reflet de Lune avec sa belle aimée, en évitant les zones habitées ; mais Nausicaâ avait du mal à sourire, ou se détendre, et regardait les lacs avec amertume.

Il avait fallu payer cher pour mettre un pied dans ce qui son esprit d’enfant nourri de contes de fées et de livres de romances était un paradis… pour découvrir qu’elle devrait y rester cachée, encore plus qu’elle ne l’avait été, à la manière d’une bête sauvage.

Zénia et elle avaient fait des sauts à Auberdine pour y trouver le nécessaire pour rendre leur hutte plus confortable, mais à chaque fois, le risque était grand qu’elles y furent vues, et Zénia partait seule, pour aller chercher les affaires restantes à la Combe de Nijel, et de quoi meubler leur refuge, ainsi que des nouvelles et le courrier, laissant l’adolescente cachée au milieu du Bosquet.

Et Nausicaâ attendait que le temps défile, que le soleil embrase le ciel, le parcourt, suive sa trace journalière, et retombe, pour laisser un crépuscule au goût amer de défaite. L’Epée posée dans la hutte semblait trôner comme une maîtresse cruelle et jalouse sur sa vie de petite humaine, et parfois, parfois, depuis qu’elle avait traversé les terres dévastées et corrompues de Gangrebois, après le massacre des furbolgs Deadwood que sa mère avait imposé pour qu’elle et Zénia puissent franchir le couloir des Timbermaw, après ce bain de sang et ce carnage auquelle elle avait été contrainte des heures durant, pour ne laisser derrière elle qu’un champ de cadavres déchiquetés par les griffes d’une Duvnarel éprise de massacre, parfois, l’épée semblait murmurer.
Mais si elle écoutait, si elle cherchait à entendre, le murmure volait loin d’elle, comme emporté par le vent, et seul restait la vision de l’arme, si funeste dans sa complète neutralité d’assemblage de métaux.

Tout ce qu’elle savait, c’est que même ici, au sein du sanctuaire sacré des druides, Duvnarel avait assez peur pour la cacher aux yeux de tous, qu’elle sombrait dans une colère et une haine sans bornes qui la rendait méfiante même de ses frères, et que l’Epée devenait lentement un fardeau maudit qui attirait de partout de terribles ennuis, dont Zénia et sa mère faisaient les frais. Elle voulait fuir, elle voulait se cacher, elle aurait voulu être seule, loin de tout le monde, arrêter de faire souffrir et effrayer les gens qu’elle aimait, elle aurait voulu qu’on l’oublie dans un coin, que la nuit tombe et que son existence s’efface, et ne reparaisse jamais. Mais elle était incapable de même envisager l’idée de fuir Zénia ou Duvnarel, et encore moins capable de leur désobéir.
Elle n’avait d’autre choix que de laisser sa vie entre les mains de Zénia et de Duvnarel, et de les suivre, où qu’elles voudraient l’emmener. Le monde n’était plus désormais qu’une menace floue et monstrueuse, et les deux femmes représentaient son seul refuge. Et même si elle souffrait de ne cesser de se torturer et se culpabiliser de cette situation et des soucis terribles que vivaient Zénia et Duvnarel, elle n’aurait aucune autre alternative.

Le toit fut bientôt fini, et Nausicaâ vint quémander un baiser à Zénia, avant de s’installer à l’entrée de la cabane, pour ouvrir son courrier. Elle n’avait plus de nouvelles de Kerla, et avait écrit à Sonate, le chef de l’Equipage de la Maraude, pour avoir des nouvelles de celle qu’elle considérait comme une grande sœur.
La lettre ne faisait que quelques lignes :

« Bonjour, Nausicaâ, Kerla est morte, je suis désolé. Sonate »

Nausicaâ tint la lettre devant elle, immobile, paralysée et foudroyée par ces quelques mots.

« …Kerla est morte… »

Elle resta immobile, tenant la lettre, paralysée, très longtemps, avant que Zénia ne vienne, étonnée que son aimée ne réponde plus. L’elfe prit la lettre qu’elle parcourut rapidement, et Nausicaâ la regarda, silencieuse. Les larmes ne vinrent pas, pas avant longtemps, les mots ne vinrent pas non plus, pas avant des heures plus tard. Kerla l’enfant perdue que Nausicaâ avait accueillie et rassurée comme elle avait pu, si longtemps avant, été morte… Quelle que soit la manière dont elle l’avait été, il n’y avait que ce constat affreux : elle était morte.
Nausicaâ mit des heures à comprendre, des heures à pleurer, des heures à dormir, se réveiller pour sombrer en larmes, se rendormir, bercée par Zénia qui cacha ses propres larmes comme elle pu.

Juste à coté, posée au sol, entourée de linges, une épée frissonna, laissant dans l’air un écho à peine palpable que seul un arcaniste eut senti. Elle appelait, appelait doucement, cherchant une faille dans sa Porteuse ou ses proches, pour trouver, dans ce combat qu’elle mène depuis des millénaires, une porte de sortie, un moyen de se libérer. Et dans l’âme fracassée et vaincue de la jeune adolescente héritière de la lame maudite, s’infiltrait doucement la faille, la petite blessure devenue assez large, assez profonde, pour y glisser le pire des poisons : le Doute.

 

IX: murmures.

Elle dormait, blottie contre Zénia. Derrière elle, Duvnarel la couvrait de son bras, serrant les deux jeunes filles d’un geste maternel.
Juste à coté, Teiana était recrovillée sur des couvertures. La petite cabane n’eut pu accepter plus de monde.
Qui dormait réellement, c’eut été difficile à dire ? Duvnarel cachait tant bien que mal ses doutes, ses peurs, la crainte qui la dévore, et ses propres angoisses. Zénia essayait de prendre conscience de ce qu’elle avait enfin compris, par la voix de la druidesse : qu’elle ne serait plus jamais seule, qu’elle était autant la fille de Duvnarel que celle-ci avait adopté et aimé Nausicaâ. Teiana était rongée par la crainte et la peur de son amour disparu.

Et Nausicaâ entendait les mêmes murmures que chaque nuit. Nuit après nuit, l’Epée murmurait, mais au matin, aucun mot n’avait laissé un souvenir. Juste le Doute… Mais de manière si lente, de manière si insidieuse…

« Tu vois qu’elles pleurent. Tu vois qu’elles te cachent, et qu’elles ne vivent plus depuis que tu es entré dans leur existence. Tu es une malédiction, pourquoi leur impose-tu ta présence, pourquoi, alors que tu les torture ?... »

« Kerla est morte. Magdaléna est morte aussi. Melowen est morte. Ta Liandra est morte !! Personne ne pourra t’aider sans finir par en mourir. Elles vont mourir elle aussi ! Et tu ne peux rien empécher ! »

« Pourquoi ne cherche-tu pas toi-même à en savoir plus sur Moi ?... Si tu savais te servir de Moi, tu pourrais alors revenir les protéger, les aider, ton amour aurait un sens. Mais j’oubliais… tu es si lâche… Si lâche. Finalement, Ioans avait raison de faire de toi un pantin et une esclave, tu n’es destinée à rien d’autre. »

« Ne voit-tu pas à quel point tu fais honte à la Lumière, à quel point tu fait honte aux elfes, à quel point tu ne mérite rien ? Si tu savais Me manier, si tu te servais du pouvoir de la Légende, tu pourrai renverser le cours des choses, tu ne serai plus une petite chose lâche et faible. Tu pourrai protéger, et non n’exister que pour être protégé comme une invalide. »

« Je peux changer le Monde. Tu peux trouver comment Me manier, il suffit que tu aille chercher dans les Livres, dans les Légendes. Qu’attend-tu ?... Qu’on te protège ta vie entière, et que ta vie ne serve qu’à détruire celle des autres ?... Que Zénia périsse elle aussi ? Ou ta « prétendue » mère ? »

L’Epée n’avait que la nuit, que le Rêve, pour parler à l’esprit de sa Porteuse.
Nausicaâ était tellement nourrie de la magie de l’Epée qu’elle possédait une incroyable sensibilité à la Magie, au Rêve, aux influences que les druides ou les mages ont sur le monde. Quelque chose qui devait bien être en rapport avec son étonnante et irrésistible odeur… Et l’Epée profitait de cette faiblesse pour murmurer, encore et encore, quand le cerveau de l’adolescente était perméable à son minuscule filet de voix. Elle n’avait pas d’autres moyens, pas encore, en tout cas, de trouver une main pour la manier, une main qui la nourrirait, et qui par là même se rendrait encore plus sensible à ses appels et son influence.

A travers ses murmures, l’Epée laissait aussi s’échapper sans contrôle des images floues, incertaines, d’un passé si lointain. Si quelqu’un d’autre, à cet instant, avait pu les voir, il aurait vu le Mont Hyjal, et le Puit d’Eternité où fut trempée la lame. Il aurait vu le même Mont, dévasté, et le corps immense d’Archimonde, et aurait presque « vu » les hurlements inhumains que poussent toutes choses devant la dépouille corrompue du démon.
Il aurait vu à quel point l’épée rêve, si jamais elle rêve, comme toute conscience, de ce lieu, et d’un flot de sang versé, d’un sacrifice, d’une faim avide dans un seul but.
« Achever le cycle… retourner aux origines… Rouvrir le Néant… ».

L’aube éclairait la cabane, et tout Reflet de Lune. Dendrite Starblaze se demandait toujours s’il avait bien agit en accordant sa confiance à Duvnarel, après avoir vu et surtout « senti » cette petite demi-elfe qui avait tan bouleversé l’honorable druidesse au point d’en faire sa fille.
Rémulos regardait l’horizon. Qu’il ai vu les trois elfes hier au soir l’observer de loin, en silence, puis murmurer, pleurer, s’épancher en tendresses, il ne montrerait rien. Qui pouvait même deviner le caractère des pensées d’un être d’essence divine ?
Les gardes de Cénarius parlaient entre eux de cette jeune demi-humaine qui accompagnait Duvnarel, et cette autre elfe, et qui avait cette étonnante odeur, que même les taurens avaient ressentie comme terriblement attirante et étrange. La rumeur se répandit lentement, on su qu’elle vivait cachée dans Moonglade.
Mais Dendrite Starblaze l’avait vue, la veille, et n’avait rien dit d’autre que : « elle est bienvenue ».
Rien de plus, rien de moins. Les gardes en parlèrent souvent, mais parlaient bien plus de la futur réunion qui allait demander toute leur vigilance, et dont on disait que des non-druides pourraient bien être présents.

Le soleil frappa la surface du Lac… Une nouvelle journée d’automne commençait sur Moonglade.

X: toutes les larmes du monde

 

Sybil souriait. Cela arrivait peu, et la druidesse n’avait aucune habitude à sourire… sauf tristement, parfois.
Mais elle observait Zénia et Nausicaâ, essayant d’approcher les animaux de la point sur de Reflet-de-Lune, pestant contre les biches et les lapins qui préféraient mettre un peu de champ entre les deux jeunes filles et eux. Les deux adolescentes étaient aussi maladroites qu’il fut possible de l’être en pleine nature. En fait, la seule différence entre leurs techniques, et les pas lourdauds d’un nain est qu’elles essayaient d’y mettre le plus d’attention possible. Mais un chasseur nain eut pu leur donner des leçons sans mal… Et en fait, elles en avaient grand besoin.

Mais la druidesse avait tout entendu hier soir, et en fait, il était plus facile d’essayer de savoir ce qu’elle n’avait pas entendu. Tel une ombre, elle veillait depuis des jours, jamais loin des deux filles, sauf en de rares cas. Et l’un de ces rares cas avait failli devenir une catastrophe.
Elle n’avait encore rien demandé aux deux filles. Elle avait juste écouté, quand elle les avait retrouvé à Auberdine.

L’enfant était encore une fois blessée moralement, et essayait de retenir ses larmes, devant Arowan, Duvnarel et Ezequeil. Zénia la serrait contre elle.
Elle raconta tout en quelques mots : Tyranael blessée, dans le port de Menethil. Duvnarel hurla. Ses deux filles sur le continent de l’Est ! Malgré son interdiction formelle !
Tyranael avait refusé toute aide, et l’une de ses deux amies avait même sorti les armes devant Nausicaâ.
Sybil n’intervint pas. Elle n’avait pas à le faire, pas encore. Elle n’avait baissé sa vigilance que trois minutes. Elle avait laissé les deux jeunes filles aller où elles voulaient. Et ça avait été une terrible erreur ; trois petites minutes d’absence et la Porteuse de Tempête avait provoqué un drame, sans aucune autre faute que d’avoir juste été là…
Duvnarel gardait pour elle sa colère, et sa peur, et froidement, décida de ramener ses deux filles à Reflet-de-Lune.

Sybil les suivit. Savoir les pensées qui agitaient la druidesse solitaire était difficile, voire impossible. Sous forme féline, invisible, elle rejoint la mère et ses deux filles près de la petite cabane, et écouta.
Ce qui suivit ne concernait qu’elles. Elle entendit tout, mais surtout ce qui ne fut pas dit. La terreur rampante dans le cœur de Duvnarel apprenant à être une mère, apprenant la peur d’une protectrice face à un défi terrible. La défaite et la honte de Zénia, si terrible qu’elle demanda elle-même à payer de son corps sa faute… Comme si les coups ou la douleur auraient pu la libérer de son échec. Et l’enfant… l’enfant elle, pleurait, vaincue… Et n’imaginait pas qu’il fut autrement que de sa faute tout ce qui arrivait, entièrement, complètement, presque avidement de sa faute.

Sybil ne soupira pas, ne bougea pas, n’intervint pas. Elle gardait pour elle le jugement de son erreur. Au-delà de trois minutes perdues à sa vigilance, il y avait une erreur fondamentale, et cette erreur avait un prix qu’elle voyait à l’instant.
Un prix et une récompense, mais cette mère et ses deux filles ne comprendraient pas de suite ce que l’intuition de la druidesse lui soufflait.
Elles pleurèrent. Toutes les trois, dans un gémissement de douleur, des échos de leur passé à toutes, et Sybil comprit l’étendue des terreurs que partageaient les deux filles. Chacune à sa manière avait appris toutes les pires interprétations du mot « punition », au point que l’évocation d’une punition les replaçait dans une situation de fatale soumission, de terreur intérieur… de défaite de l’âme.
Et Sybil devina que Duvnarel avait une conscience aigue d’avoir adopté deux enfants blessées… et que son rôle allait devenir une terrible lutte.

Duvnarel finit par disparaître. Sybil la suivit facilement du regard. La druidesse allait s’isoler, et Sybil sentit sa présence, au fond du lac, loin de tout bruit, de toute tension.
La mère souffrait autant que ses filles, et ses blessures n’en étaient pas moins grandes… mais elle n’en montrerait rien de plus que ses propres larmes avant longtemps.
Les deux jeunes femmes parlèrent. Longtemps. Des océans d’amertume, de culpabilité. Des mers de larmes et de douleurs, derrière des mots incapable de les libérer. La jeune demi-humaine semblait persuadée de faire porter à tous un fardeau dont elle était responsable et seule coupable. Sybil songea à l’épée. Sa simple existence suffisait en effet à poser sur les épaules de qui approchait la jeune fille un fardeau fort lourd. Mais elle en portait le plus grand poids et les pires conséquences : à la fois à l’origine de tout, arme, et victime en même temps.

Quand Nausicaâ s’enfuit, la druidesse n’en fut pas surprise. Elle suivit l’adolescence, ne perdant pas du regard Zénia qui la poursuivait. La fuite semblait tellement la seule solution possible… une évidence mortelle, une autre erreur, mais elles avaient besoin d’en faire pour en apprendre l’essence. Il était temps qu’elles en fassent, en fin de compte.

La fuite s’arrêta aux portes du tunnel vers Gangrebois. C’est la détresse et la souffrance de Zénia qui mit fin à la fuite. C’est son appel au secours désespéré vers sa jeune compagne, ce sont ses larmes, c’est sa détresse qui réveilla ce que Nausicaâ tendait à oublier, aveuglée par sa culpabilité. Et c’est leur amour qu les fit redescendre, Zénia guidée par la main par Nausicaâ, refusant que sa propre détresse parvienne à détruire la fragile elfe qu’elle aimait tant.
Sybil resta un peu plus loin d’elles, par la suite. Elles étaient en sécurité, et elle écoutait le Vent lui apporter les nouvelles des lieux. Ce qui se passa entre les deux jeunes filles leur appartenait, et pour la première fois, elles eurent une nuit pour elles. Une nuit où leurs peurs furent vaincues par leur désir de s’appartenir.
Leur première Nuit.

Sybil laissa Duvnarel méditer. La très ancienne druidesse vivait les affres d’autres doutes, d’autres douleurs, mais il serait bien temps pour elle de vivre un instant de bonheur, et d’en profiter pleinement. Sybil n’avait pas réellement les moyens de donner des leçons sur le bonheur. Elle eu un sourire triste et amer. Mais ses pensées n’allèrent nulle part. Personne n’aurait pu dire ce qu’elle cachait, ou ce qu’elle ressentait…

Depuis le jour, les deux jeunes femmes, obéissant à la « punition » de leur mère, approchaient les animaux, les comptaient, essayaient de voir si elles en trouvaient des malades. Elles avaient eu à courir après un lapin blessé, ce qui avait pris vingt bonnes minutes de maladresse. Elle essayaient de savoir si aucun animal n’était malade, blessée, ou atteint par la Corruption proche de Gangrebois.
Bien sûr, Duvnarel ne leur avait pas dit qu’il était presque impossible que la Corruption puisse toucher ces lieux. Bien sûr, elles auraient pu demander l’aide de Sybil pour leur tâche. Mais elle n’avait fait que se montrer de loin, et les saluer, les laissant se débrouiller seules.
C’était un moment pour elles. Et elle avait une dette envers Duvnarel. Qu’il faudra bien payer.

 

XI: désespoir

Le sommeil, parfois, repose, et parfois, il guide. Parfois il apporte de lointains messages, et parfois offre de lointains rêves. Il peut aussi apporter terreur ou désespoir. Et de temps en temps, il se contente de veiller les pensées et les doutes de l’être endormi.

Elle dormait, plus profondément que cela lui était rarement arrivé. Sa mère, veillante, observait les pensées vacantes de la jeune fille, lui interdisant l’accès au Rêve. Elle frôlait souvent, trop, même, le monde spirituel des druides, comme si la découverte d’un nouveau champ de l’existence l’attirait à s’y perdre.

Qui avait commencé ?... Duvnarel, ou Sybil ? Quoi qu’il en soit, c’était trop tard, la jeune fille savait désormais entendre et parler à travers le Rêve et son esprit sans entraînement y accédait de manière chaotique et sans préparation. Un papillon cherchant la lumière qui lui brûlerait les ailes. Et elle avait bien failli s’y brûler, refusant de revenir, attirée par le néant, par le gouffre, la facilité à se perdre dans les brumes pour trouver un repose si aisé et si accessible.

Duvnarek frémit. Et désormais, sa fille avait entendu et senti la présence de sa mère naturelle, Itallirë, qui avait pu joindre les druides, et surtout sa propre fille, à travers le rêve. Il s’était passé trop de choses, trop de choses à gérer, trop de choses qui dépassaient cette enfant qui dormait…

Les druides savaient désormais ce que la demi-humaine pouvait faire, et pour ceux encore qui n’avaient pas été mis au courant, le rapport entre elle et certaines légendes.
Et après l’appel lancé avec l’aide de Sybil, sa voix, et son fantôme, avaient été vu, ou rêvé, dans de nombreux lieux… Rien n’aurait pu être pire, qu’elle ai voulu bien faire ou pas…

Nausicaâ dormait. Ses songes allaient du rêve au cauchemar, parfois, un léger tremblement la prenait, que Zénia calmait d’un geste tendre. Ses pensées dans le songe cherchaient à savoir si ses actes avaient servit à quelque chose, si elle avait pu au moins être utile.
Chacun de ses choix n’avait mené qu’à plus de peur et de terreur, et de colère de Duvnarel, chacun de ses choix sonnait comme un échec et une erreur flagrante. Comment pouvaient-elles encore l’aimer après tout ça ?

En fin de compte, il ne restait rien, elle ne pourrait jamais aider les druides, elle ne pourrait être d’aucunes causes, condamnée à attendre qu’on la délivre du poids de sa malédiction, dépendant des autres. Tout effort pour essayer d’être utile était réduit à néant, voué à l’échec. Elle était piégée sans espoir de s’échapper de ses propres doutes.

Elle entrainait dans ses échecs les échecs des gens qu’elle aimait, et désormais, elle n’avait aucune échappatoire. Vivre, pour elles, simplement vivre, mais cela avait-il un sens ?... Voir le jour se lever, le soir se coucher. Elle fut submergée par les échos des merveilleux moments passés avec sa mère et son aimée, les moments de tendresse, ceux d’amour, mais pourquoi tellement d’amertume, pourquoi, enfin, se dire qu’elle ne pourrait jamais vivre ce bonheur là, que ces deux femmes voulaient tant lui offrir ?

Parce que derrière elle ne cessait de flotter l’ombre d’une malédiction vouée à dévorer tout ce qu’elle touchait, parce qu’en fin de compte, elle ne pouvait rien construire, juste détruire.

Elle appela dans son sommeil, et Zénia la calma doucement.

Le gouffre avait été un choix si simple, tellement simple, et à son retour, elle n’avait vu en fin de compte que la folie foudroyer Duvnarel et la douleur submerger Zénia. Le monde était trop compliqué et mauvais pour elle, elle voulait tellement, tellement fuir, essayer d’être finalement, oubliée de tous. Si elle avait eu un souhait, c’est celui-ci qu’elle aurait fait : disparaître oubliée de tous, pour les laisser en paix.

Elle frôla encore le Rêve, mais Duvnarel veillait. Elle pleura en elle-même, elle rêva y retourner et s’y perdre pour ne pas revenir. Il faudrait affronter le jour, affronter la vie, affronter leur amour et leur compassion.

Elle aurait tellement préféré qu’elles la haïssent…

 

Interlude: dix jours de paix

Reflet de Lune ne connaît jamais le jour réel. Reflet de Lune ne connaît jamais la nuit réelle. Baignée dans l’aura de l’immense Puit de Lune qu’il abrite, reflété par le lac Elun’ara, il y fait toujours doux, la pluie s’y fait discrète, la nuit à peine fraîche, la lune presque invisible, l’orage toujours lointain.
Le bois semble aussi pur qu’une forêt où nulle main n’aurait pu en altérer l’essence. Aucuns prédateurs, aucunes maladies ne semblent régner ici, une forme d’ordre naturel discret et invisible, seulement perturbée par des constructions antiques, celles du refuge multi-millénaire des druides.

Et dans un coin, une petit cabane qui a fini par prendre une allure de petite masure de bois modeste d’où sort parfois un peu de fumée.

Il y a dix jours que Nausicaâ, Zénia, et Duvnarel vivent là. Une vie simple, voir presque primitive. Les lacs pour bains, l’eau à y chercher, le temps qui passe. Une sorte de bonheur simple, auquel Duvnarel se laisse prendre, parfois, comme ses deux filles, enivrée par la simplicité de n’avoir rien à gérer ou penser. Un mensonge, bien sûr, mais un beau mensonge, doux et agréable.

A part quelques voyages à Auberdine pour s’approvisionner, elles ne quittent pas les lieux. Elles dorment dans la cabane, serrées les une contre les autres. Le jour, Duvnarel profite de ses filles et de nouveau rôle de mère, et rit souvent. Quelle maladresse chez ces deux adolescentes qui ne connaissent rien à la vie sauvage. Elle leur a apprit à cuisiner un peu, mais aussi à trouver herbes et épices. Le nom des oiseaux, des petits mammifères, des plantes, la façon dont tout ce monde se coordonne dans un immense cycle de vie qu’elle-même ressent fans son être.

Nausicaâ n’est pas une elfe. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Quelle surprise pour Duvnarel de voir que sa fille peut lui parler à travers le Rêve, même maladroitement. Elle aurait tellement de choses à apprendre à la jeune fille. Celle-ci a, un temps, semblé souffrir de perdre ses repères, surtout spirituels. Elle est loin de tout autel de la Lumière. Elle a parfois émis l’envie d’aller prier près du Puit de Lune, mais Duvnarel s’y est opposée. Puis elle n’a plus demandé.

Elle cesse doucement, trop doucement peut-être, d’être un être faible et soumis de nature. Elle rit souvent, joue souvent, semble vouloir rattraper le plus possible des jeux et des bonheurs d’enfant qu’elle a perdu et qu’elle ne connaît pas. Son admiration et son amour pour les animaux en est touchant. Parfois gênant aussi. Elle ne mange pas de viande, et a rechigné au dernier degré quand on l’a forcé à le faire, se rendant visiblement malade.
Zénia semble elle aussi réapprendre à parler et à sourire. Elles aiment à être seules, toutes les deux, allongés au bord de l’eau. Elles découvrent l’amour, et leur cœur et leur corps meurtri semble enfin vouloir les laisser en paix. Elles essayent de se promettre des futurs, et elle esssayent d’y croire.

Sybil, la druidesse, veille toujours, jamais très loin, toujours silencieuse, et invisible, sur les trois femmes. Parfois, elle vient parler, partager un dîner, puis repart, seule. Et parfois elle parle un peu, à Zénia surtout, ou à Duvnarel.

Elle laisse à la mère et ses deux filles des moments de paix qui ne sont que trop fragiles.
Et elles en profitent du mieux qu’elles peuvent.

Peut-on être une famille, en dix jours de vie commune ?... la question ne se pose ici même pas, elles ne se la posent pas, ce sont dix jours de tendresses, où les voiles de peur, d’angoisse et de tristesse sont masqués ou oubliés pour céder la place au plaisir de vivre.

Demain, peut-être, tout sera fini, la mort viendra, ou le cauchemars. Derrière les barrières montagneuses de Reflet-de-Lune, l’horreur, elle, n’a ni frontières, ni limites.

Il n’importe qu’une chose pour Duvnarel : son enfant a cessé de cauchemarder, et malgré les derniers événements, elle a appris à dormir, et ne pas se réveiller avant l’aube en criant et demandant pitié. Elle renait à la vie, et Zénia quand à elle réapprend la confiance.

Cela ne durera peut-etre pas, mais quand il le faudra, peut-être aura-t-elle le courage d’apprendre à ses filles à affronter l’horreur et la mort avec dignité.

Jusque là… elle est une mère.